Réalisé à l’occasion de la journée d’étude internationale : gestion des controverses et conflits en D&I, organisée par l’AFMD et l’ADRIPS, cet épisode est accompagné d’un autre épisode, consacré à la définition du conflit : n’hésitez pas à aller le découvrir également !
Cet épisode a été écrit par Stéphanie Demoulin, professeure en psychologie sociale à l’Université catholique de Louvain.
Dans l’épisode précédent, nous avons présenté les éléments clés qui composent les conflits, leurs origines, et leurs conséquences. C’est une première étape essentielle, mais… Comment peut-on gérer les conflits efficacement ?
Si les conflits sont inévitables et parfois nécessaires, car ils agissent comme des catalyseurs de changement, ils n’en restent pas moins désagréables et difficiles à appréhender.
À titre d’exemple, souvenez-vous du conflit avec Tom, votre collègue, qui monopolise la salle de réunion ! Pour vous deux, ce conflit pourrait être une opportunité de mieux comprendre vos besoins respectifs et améliorer la situation. Cependant, pour en tirer des bénéfices et éviter une escalade sans fin, il faut appréhender les conflits de manière appropriée.
Heureusement pour nous, il existe diverses façons de gérer les conflits ! Les modes de gestion des conflits sont variés : certains sont largement confrontationnels, tandis que d’autres sont nettement plus collaboratifs.
Comment gérer les conflits ?
Commençons par décrire les modes dysfonctionnels, qui se divisent en deux catégories : l’escalade et l’évitement. L’escalade est un mode de gestion des conflits où chaque partie tente d’imposer sa vision des choses à l’autre. Votre collègue, Tom, tente d’installer un nouveau verrou pour s’assurer que lui seul peut utiliser la salle de réunion, tandis que vous décidez de tambouriner très fort sur la porte pour lui faire comprendre que vous voulez aussi avoir accès à cette salle. Dans cette situation, chacun rentre dans ses retranchements : les positions se polarisent, et les actions des parties – argumentation, recours à la force ou à la violence – visent uniquement à remporter la bataille. Dans ce contexte, les menaces, les injures et les exagérations sont fréquentes.
À l’inverse, l’évitement se caractérise par une diminution de l’engagement des parties à résoudre le ou les problèmes en question. Ici, plus question d’essayer de convaincre ou d’imposer quoi que ce soit. On observe plutôt un désengagement total des deux côtés : personne ne cherche vraiment de solution au problème. Tom et vous arrêtez simplement de vous parler, ou d’aborder le sujet de l’occupation de la salle de réunion avec qui que ce soit ! Dans ce type d’approche, les parties évitent d’aborder les sujets controversés, ignorent l’interaction, se montrent silencieuses et acceptent rapidement, sans réfléchir, les solutions proposées. Alors que l’escalade accroît les tensions et les actes agressifs, l’évitement, en taisant le conflit, empêche sa résolution et génère des frustrations et des insatisfactions qui risquent de resurgir plus tard, sous une forme identique ou différente.
Comment bien résoudre les conflits alors !?
Sans grande surprise, les modes fonctionnels de gestion des conflits reposent généralement sur le dialogue. Ce dialogue peut se dérouler directement entre les parties, sans intervention externe, ou avec l’aide de professionnel.les de la gestion des conflits.
Une méthode typique de gestion de conflit par le dialogue, et sans aide extérieure, est ”la négociation”.
La négociation est une discussion entre parties interdépendantes, qui vise à trouver un accord ou une solution à une divergence perçue. Il existe deux grands types de négociation : la négociation distributive et la négociation intégrative. Lors d’une négociation distributive, les parties abordent la discussion à partir de leurs positions respectives et, grâce à des concessions mutuelles, parviennent finalement à un compromis situé à mi-chemin entre leurs positions initiales. C’est une plutôt bonne issue, mais ce type de négociation est peu créateur de valeur, car les parties n’entrent pas dans une dynamique créative, et la solution finale implique pour chacune de renoncer à certaines de ses revendications.
L’autre type de négociation, la négociation intégrative, adopte un processus plus collaboratif, pour tenter d’obtenir un accord optimal. C’est-à-dire, un accord qui réponde aux revendications de chaque partie, mais aussi à leurs besoins véritables. Par exemple, dans le cas de Tom qui monopolise la salle de réunion, une discussion pourrait permettre de mieux comprendre ses besoins : son bureau, situé dans un open space bruyant, l’empêche de passer ses appels professionnels en toute tranquillité. En échangeant, vous réalisez que les bureaux individuels ne sont pas occupés tous les jours. Tom pourrait alors utiliser ces espaces pour ses appels, libérant ainsi la salle de réunion pour vos réunions d’équipe ! Cette solution permet donc à chacun·e de remplir ses besoins véritables sans compromis. Cette seconde approche est donc plus créatrice de valeur puisqu’elle permet aux parties de développer, ensemble, des solutions nouvelles, satisfaisant l’ensemble de leurs besoins.
En négociation, les parties recherchent une solution par elles-mêmes. Mais parfois, cette négociation est déléguée à des tiers expert·es en gestion des conflits.
A qui peut-on alors faire appel et quels sont les modes de gestion ?
Par exemple, dans le domaine législatif, le recours au droit collaboratif, est une forme de négociation menée par les avocat.es des parties en conflit. En droit collaboratif, les avocat.es, formé.es aux pratiques et aux stratégies de négociation intégrative, travaillent à développer un accord créateur de valeur pour leurs client.es.
Dans le droit collaboratif, la négociation est donc déléguée à une personne experte extérieure aux parties en conflit.
Dans d’autres configurations, le dialogue reste entre les mains des parties en conflit, mais il est encadré par un.e expert.e. Cette négociation modérée par un.e expert.e prend deux formes : la médiation et la conciliation. La différence entre la médiation et la conciliation réside dans le degré d’implication de la personne extérieure dans l’élaboration d’une solution. Pour la médiation, la personne extérieure se contente d’accompagner le processus et de guider les parties ; celles-ci sont seules responsables de trouver une solution qui leur convienne. Tandis que dans la conciliation, la personne extérieure adopte un rôle plus actif en suggérant des pistes de solutions, laissant toutefois aux parties la liberté de décider si elles souhaitent adhérer ou non aux solutions proposées. La médiation comme la conciliation peuvent être créatrices de valeur, mais en général, la médiation a un potentiel créatif plus important, car elle met davantage en lumière les besoins profonds des parties.
Que se passe-t-il si aucune de ces méthodes ne fonctionne ?
Si les modes fonctionnels de gestion par le dialogue n’aboutissent pas, les parties en conflit peuvent toujours déléguer l’issue de leur différend à un tiers décideur, en optant pour l’arbitrage ou en portant leur affaire devant les tribunaux. Néanmoins, l’arbitrage et les tribunaux sont des modes de gestion des conflits qui ne traitent pas les causes profondes du conflit. Ils ne répondent pas aux besoins réels des parties et tendent à détériorer encore plus les relations déjà abîmées plutôt que de les restaurer ou de préserver ce qui en reste.
Bien que certains modes de gestion aient des avantages clairs par rapport à d’autres, tous les modes de gestion fonctionnels ont leur utilité dans la société. Le plus important dans une situation de conflit est d’adopter une approche flexible et de choisir, selon la situation, les parties et le type de conflit, le mode de gestion le plus apte à favoriser la désescalade et le retour à l’apaisement. Aussi utile que soit la médiation, forcer son utilisation à tout prix comporte des risques, notamment lorsqu’une des parties est psychologiquement dominée par l’autre. De même, recourir uniquement à l’arbitrage ou aux tribunaux limite les opportunités d’obtenir des accords qui répondent aux besoins des parties, se contentant de respecter les règles de droit sans offrir de solutions sur mesure.
Références
Demoulin, S. (2020). Petit traité de la négociation au quotidien: L’ouvrage de référence pour mener (enfin) des négociations gagnantes!. Mardaga.
Fisher, R., & Ury, W. (1981). Getting to yes: How to negotiate without giving in. London: Arrow.
Lewicki, R. J., Saunders, D. M., & Barry, B. (2006). Negotiation, wyd. 5.
Pruitt, D. G., & Rubin, J. Z. (1986). Social conflict: Escalation, stalemate, and settlement. New York: Random House.
Smets-Gary, C., & Becker, M. (2012). Médiation et techniques de négociation intégrative: Approche pratique en matière civile, commerciale et sociale. Bruxelles: Editions Larcier.