La perception de la parole dans le bruit et autres mystères de l’audition. Axelle Calcus

Aujourd’hui nous avons décidé d’interviewer Axelle Calcus, et nous parlons d’audition. Axelle Calcus est professeure et chercheuse à l’Université Libre de Bruxelles,  dans le domaine des neurosciences cognitives de l’audition, avec un intérêt particulier pour le développementNous avons commencé par discuter  du fameux effet « cocktail party » : Comment arrive-t-on à comprendre ce que le barman nous dit alors que la musique est à fond dans le bar ? Comment les enfants parviennent-ils à comprendre ce que dit le·la professeur·e alors que la classe est turbulente ? Il faut faire le « tri » et arriver à se focaliser sur les sons qui nous intéressent.


Nous avons également parlé des troubles d’audition : Quelles sont les conséquences d’une difficulté d’audition sur le développement, les apprentissages, la vie quotidienne ? Est-ce que les nouvelles générations se protègent suffisamment du bruit et de la musique ? Quelles recommandations pour être dans une dynamique d’inclusion, avec les personnes ayant une déficience auditive ?

Lexique

Les neurones (ou cellules nerveuses) sont des cellules dites électriquement “excitables”. Elles permettent la transmission d’un signal électrique physiologique. Les neurones sensoriels (qui répondent au toucher, au bruit, à la lumière, etc) par exemple, répondent aux simulations et les transforment en signal électrique. Les neurones communiquent avec les autres neurones par les synapses. 

Les synapses sont le lieu où se fait l’interaction entre deux neurones. La synapse permet le passage du signal.

On parle d’un comportement ou d’un caractère inné si ce dernier est présent dès la naissance. Les comportements ou caractères sont acquis s’ils dépendent de l’environnement et sont construits après la naissance.

Les cellules ciliées sont des cellules sensorielles coiffées de cils (« stéréocils ») qui se trouvent dans l’oreille interne. Elles sont utiles au système auditif et au système vestibulaire (sensations de mouvements et d’équilibre). Lorsqu’elles reçoivent les ondes de sons, les stéréocils sont déviées, cela génère une série de réactions chimiques, puis la libération de neurotransmetteurs et l’envoi d’un signal jusqu’aux aires auditives du cerveau.  

La dyslexie se caractérise par des difficultés de lecture en dépit d’une intelligence normale. Les problèmes peuvent inclure des difficultés à épeler les mots, à lire rapidement, à écrire les mots, à ” prononcer ” les mots dans sa tête, à prononcer les mots lors de la lecture à haute voix et à comprendre ce que l’on lit. Souvent, ces difficultés sont remarquées pour la première fois à l’école. On dit que le cerveau est plastique (neuroplasticité) car le cerveau est capable d’opérer des modifications et des réorganisations au niveau des réseaux de neurones et des connexions entre neurones. Cette plasticité opère durant les apprentissages, mais aussi après des lésions au niveau du cerveau ou du corps. La plasticité est maximale durant l’enfance mais est présente tout au long de la vie.

Timeline

01:28 Axelle, tu  t’ intéresses dans tes recherches, au sens de l’audition. Une partie de tes recherches vise à comprendre comment l’être humain parvient à percevoir les paroles d’autrui lorsqu’il y a du bruit. Si on veut donner un exemple de la vie de tous les jours, j’imagine qu’on parle donc d’une situation où l’on est dans un bar avec de la musique et des gens autour de nous qui parlent fort, alors que l’on essaie de comprendre ce que nous dit la personne derrière le bar. Ou, puisque tu étudies les enfants, comment les enfants entendent leurs camarades dans une cour de récréation bruyante. Donc le but, c’est de comprendre comment notre cerveau parvient à isoler et percevoir des stimulis auditifs parmi d’autres stimulis auditifs “parasites”?  Est-ce que tu peux nous expliquer un peu comment cela fonctionne ? 

04:54 Du coup, cette capacité à percevoir les paroles dans le bruit, c’est plutôt de l’acquis que de l’inné ? Les mécanismes derrière notre capacité à faire le tri dans le bruit.

07:57 Est-ce que l’on peut expliquer le fait que les enfants soient plus turbulents par le fait qu’ils·elles n’arrivent pas à faire ce « tri » ? 

09:01  Il y a des gens qui ne font pas automatiquement ce « tri », ce « focus », moi par exemple j’ai eu des problèmes d’audition jusqu’à l’âge de 6 ans et je rencontre énormément de problème à le faire, par exemple quand je vais dans des bars ou quand il y a beaucoup de bruit autour de moi. Pourquoi ?

09:50 Même chez des personnes jeunes et en parfaites santé, ayant un audiogramme (test auditif basique) normal, on a parfois des personnes qui rapportent rencontrer des difficultés dans le bruit. On parle de pertes auditives cachées. 

12:20 Acouphènes, écouteurs, exposition à la musique et pertes auditives. Changements au fil des générations ? 

13:58 Quelles sont les conséquences d’une déficience auditive sur le développement, les apprentissages ou même la vie quotidienne ? On image un rapport différent au langage, mais je pense aussi à la vie quotidienne car avec le COVID on a parlé du masque buccal et on imagine que cela doit générer des changements et des difficultés chez les personnes qui ont des difficultés auditives ? 

19:35  Figurez vous qu’ en plus d’avoir eu des problèmes d’audition à la naissance je suis aussi dyslexique. Les problèmes d’audition à la naissance amènent-ils parfois d’autres problèmes comme par exemple la dyslexie justement? Est-ce que ces deux choses sont liées ? L’audition, et la dyslexie, sont deux de vos thématiques centrales de recherche. 

23:00 Tu as donc travaillé avec des enfants dont on sait qu’ils·elles n’ont pas de difficultés auditives lorsqu’ils·elles passent un audiogramme, mais dont on se rend compte qu’il y a tout de même une dyslexie et des difficultés auditives lorsqu’il y a du bruit autour ? La perception de la parole dans le bruit chez les personnes dyslexiques.

24:00 Donc les enfants dyslexiques sont plus pénalisés lorsqu’ils·elles sont dans une classe bruyante. 

24:39 Quand on parle de déficience auditive, on pense aux personnes qui naissent avec une perte de l’audition. Est-ce que cela représente la majorité des personnes avec une déficience auditive ? Quelles pertes auditives dans la population ? 

30:18 Tu parles “d’aide auditive” pour les personnes qui ont une déficience auditive légère ou moyenne. Qu’est-ce ? Quelles différences avec les implants cochléaires ? 

30:48 Au cours de vos études, vous avez eu des retours de participants qui ont une déficience auditive, par rapport à leur expérience, en tant que participant·e·s à des études ? Est-ce que vous avez justement une conversation avec une personne malentendante pour connaître ses préférences, aborder leur déficience, etc ? Recommandations lorsque l’on interagit avec une personne ayant une déficience cognitive. 

Pour aller plus loin

Calcus, A., Tuomainen, O., Campos, A., Rosen, S., & Halliday, L. F. (2019). Functional brain alterations following mild-to-moderate sensorineural hearing loss in children. Elife, 8, e46965. (pdf)  

Calcus, A., Colin, C., Deltenre, P., & Kolinsky, R. (2015). Informational masking of speech in dyslexic children. The Journal of the Acoustical Society of America, 137(6), EL496-EL502. (pdf)

Haykin, S., & Chen, Z. (2005). The cocktail party problem. Neural computation, 17(9), 1875-1902. (pdf)

Plack, C. J., Barker, D., & Prendergast, G. (2014). Perceptual consequences of “hidden” hearing loss. Trends in hearing, 18, 2331216514550621. (pdf)