Comment lutter contre la désinformation sur internet ? La piste de la “vaccination psychologique”

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Si mille grammes c’est trop haut de gamme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?

Cet épisode a été écrit par Camila Arnal, doctorante en psychologie sociale à l’Université Libre de Bruxelles, et vous est conté par Kenzo Nera.

Dans cet épisode nous allons vous parler de l’inoculation attitudinale – ou de la vaccination contre les fausses informations. Le terme peut paraître compliqué, mais ne vous inquiétez pas : nous allons vous expliquer cela en détail.

Actuellement, on ne lutte pas seulement contre la COVID-19, mais aussi contre une “infodémie”, c’est-à-dire une épidémie de fausses informations et de théories du complot. Ces croyances peuvent avoir de graves conséquences pour la société, par exemple en nourrissant l’hésitation vaccinale. Dès lors, on peut se demander comment lutter efficacement contre leur diffusion. Une technique qui a donné des résultats prometteurs est l’inoculation attitudinale, dont nous allons parler ici.

Mais pour commencer, nous allons définir les notions de fake news et de théorie du complot, pour bien savoir de quoi on parle.

Tout d’abord, qu’est-ce que c’est, une fake news ?

Vous avez peut-être vu des fausses informations sur la COVID-19: par exemple, que le virus  peut se transmettre par les piqûres de moustiques ou encore le fait que le SARS-cov2 ne supporte pas les basses températures. Ces informations sont fausses, mais elles ont été partagées par des milliers de personnes. Ces “fake news” sont des informations qui peuvent tromper les lecteurs et lectrices, mais dont la fausseté est facile à vérifier. Elles peuvent apparaître dans des articles intentionnellement mensongers, créés dans le but de “faire du clic”, ou parfois sur des sites parodiques, où le propos humoristique est pris au premier degré.  Ces fausses nouvelles peuvent nuire à la qualité du débat public, favoriser les perceptions inexactes, encourager une plus grande antipathie à l’égard des opposants politiques et peuvent réduire la confiance dans les institutions politiques et médiatiques (Guess et al., 2020).

Qu’est-ce qui distingue les théories du complot des fake news?

Dans le monde académique, les théories du complot sont souvent définies comme des explications d’événements reposant sur l’action concertée d’un petit groupe animé par des intentions malveillantes (Keeley, 1999). Les théories du complot vont généralement à l’encontre d’une version admise par les autorités reconnues compétentes (par exemple, journalistes, les spécialistes d’histoire, ou scientifiques, Brotherton, 2013). Elles reposent sur une accumulation de pseudo-preuves qui mélangent des faits réels mais isolés de leur contexte (par exemple, des données épidémiologiques), des faits réels déformés, et des mensonges. Un exemple de théorie du complot actuelle est que le SARS-cov2 aurait été créé en laboratoire, et volontairement disséminé afin de réguler la population mondiale ou alors de lui imposer la vaccination.

Ces accumulations mêlant vraies et fausses informations rendent les théories du complot à la fois convaincantes, et difficiles à déconstruire – contrairement aux fake news (Bronner, 2013). On pourrait ajouter que de façon générale,il est très difficile, voire impossible, de prouver l’inexistence d’un complot. 

Lutter contre les fake news et les théories du complot n’est pas une entreprise facile. Notamment, de nombreuses recherches ont montré que même lorsque les individus acceptent la correction d’une information fausse à laquelle ils ont été exposés, la fausse information continuera de les influencer dans leurs jugements. C’est ce qu’on appelle l’effet d’influence continue (continued influence effect, Lewandowsky et al., 2012). Par exemple, si vous êtes exposés à une fake news alarmante sur le médicament X et qu’une amie vous rassure en vous expliquant que cette information est fausse, et bien il est probable que même si vous faites confiance à votre amie, cette fausse information continue de vous influencer (par exemple, en nourrissant votre hésitation à recourir au dit médicament). 

Il est donc judicieux de ne pas recourir qu’à des méthodes de “correction” ou de debunking qui interviennent après l’exposition aux informations fausses. Il faut aussi idéalement recourir à des méthodes qui permettront de prévenir l’adhésion à ces croyances. A cet égard, une piste prometteuse est l’inoculation attitudinale. Cette dernière permet de mieux détecter et de mieux se protéger contre les fake news, les théories du complot et autres fausses informations qui nous entourent avec les médias et réseaux sociaux.

Mais alors, qu’est-ce que l’inoculation ?

L’inoculation c’est à la base un terme médical. Cela désigne le fait de présenter une petite dose de quelque chose de néfaste à l’organisme, pour que celui-ci puisse mieux se défendre si dans le futur il est confronté à une plus grande dose de cette chose néfaste.  

En médecine, c’est ce qui est utilisé dans la vaccination: un virus affaibli est injecté à une personne saine. L’objectif est que le virus affaibli déclenche une réponse immunitaire qui protègera l’organisme, par la production d’anticorps. De cette façon, le corps apprendra à se protéger et, s’il est  confronté au virus par la suite, il sera capable de réagir efficacement. L’idée derrière l’inoculation attitudinale est d’appliquer ce principe non pas aux maladies, mais aux croyances.

Comment fonctionne l’inoculation en psychologie sociale ? 

L’inoculation attitudinale fonctionne de la même manière que l’inoculation vaccinale. Il suffit de remplacer la petite dose de virus affaibli par une petite dose de fausse information. Le fait de confronter une personne à cette petite dose de fausse information va permettre de déclencher des réactions de protection, en favorisant la réflexion critique à l’égard de ces contenus (McGuire, 1964 ; Compton, 2013).

Mais comment peut-on affaiblir l’adhésion à une théorie du complot ou une fake news par une inoculation psychologique ? Deux éléments permettent cet affaiblissement (Compton, 2013):  d’une part un avertissement préalable d’une menace ou d’une attaque, et d’autre part une contradiction préventive des arguments, c’est-à-dire, présenter des informations vraies qui seront en contradiction avec les fausses informations présentées plus tard. On appelle ce deuxième élément le “pre-bunking”.  

Par exemple,  dans une étude sur la désinformation relative au changement climatique, les participants et les participantes ont d’abord été avertis que certains acteurs et actrices politiques tentent de tromper les gens sur la question du changement climatique. Il s’agit là de l’avertissement préalable. De plus, les participants et participantes ont reçu des éléments d’information leur permettant de contredire la désinformation. Ils et elles ont par exemple appris que “la température de la terre a augmenté de 1,1°celsius à cause du gaz à effet de serre produit par les humains”. Cette méthode permet de prendre du recul vis-à-vis d’une nouvelle information avant de l’accepter comme vraie. Cette étude a montré que cette procédure d’inoculation “immunisait” partiellement les personnes contre la désinformation relative au changement climatique (Maertens et al., 2020).

Qui étudie actuellement les effets de l’inoculation et son potentiel pour améliorer la pensée critique des gens ?

Actuellement, il existe une série de jeux et d’expériences pour lutter contre la désinformation par l’inoculation. Récemment, une équipe de recherche basée à Cambridge a lancé le jeu “Go Viral”, qui offre un support pour exercer et former les gens à développer leur esprit critique. Il s’agit d’une initiative ludique et technologique qui convient particulièrement à un public adolescent. Ce jeu est un bel exemple de  l’utilisation pratique de la technique d’inoculation en psychologie sociale. Le jeu est gratuit et disponible en français, n’hésitez pas à l’essayer ! Vous trouverez le lien en notes. 

En conclusion, lutter contre les fausses informations est une tâche compliquée, notamment parce que les fausses informations continuent d’avoir une influence sur les personnes, même lorsqu’elles reconnaissent la fausseté des informations. Il faut donc agir aussi en amont. A cet égard, l’inoculation attitudinale est une piste prometteuse pour améliorer les compétences d’auto-défense intellectuelle.

Restez connecté-e-s ! 

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, écrite par Camila Arnal avec l’aide de Kenzo Nera et Magali Beylat, et enregistré par Kenzo Nera. Nous restons en contact et nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants ! 

Téléchargez le jeu “go viral”: https://www.goviralgame.com/fr

Références 

Bronner, G. (2013). La Démocratie des Crédules. Paris: PUF.

Brotherton, R. (2013). Towards a definition of “conspiracy theory”. PsyPAG Quarterly, 88(3), 9-14. http://www.psypag.co.uk/wp-content/uploads/2013/09/Issue-88.pdf

Compton, J. (2013). Inoculation Theory. In Dillard, J.P., & Shen, L. (Eds.). The SAGE Handbook of Persuasion: Developments in Theory and Practice (pp. 220-236). California: SAGE Publications.

Guess, A. M., Nyhan, B. & Reifler, J. (2020). Exposure to untrustworthy websites in the 2016 US election. Nature Human Behavior. https://doi.org/10.1038/s41562-020-0833-x

Keeley, B. L. (1999). Of conspiracy theories. Journal of Philosophy, 96(3), 109-126. https://doi.org/10.2139/ssrn.1084585

Lewandowsky, S., Ecker, U.K.H., Seifert, C.M., Schwarz, N., & Cook, J. (2012)/ Misinformation and its correction: Continued influence and successful debiasing. Psychological Science Public Interest, 13(3), 106–131.

Maertens, R., Anseel, F., & van der Linden, S. (2020). Combatting climate change misinformation: Evidence for longevity of inoculation and consensus messaging effects. Journal of Environmental Psychology, 70, 101455. https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2020.101455

McGuire, W. J. (1964). Inducing resistance to persuasion: Some contemporary approaches. In Berkowitz, L. (Ed.). Advances in experimental social psychology, Vol. 1. (pp. 191–229). New York, NY: Academic Press. 191–229.