Se comparer aux autres… pourquoi ? L’herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ?

« Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique ».

Si mille grammes ne rentre pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?

L’épisode d’aujourd’hui a été réalisé par Julie Terache et vous est conté par Sarah Leveaux.

La « comparaison sociale », nous y sommes confronté·e·s dans toutes les sphères de notre vie quotidienne, sans forcément toujours le savoir et en avoir conscience [1, 2]. Vous vous êtes très certainement déjà étonné·e à vous comparer à votre collègue à la productivité inarrêtable, à la beauté quasi parfaite du mannequin de mode sur la publicité placardée à votre arrêt de métro, à la popularité que telle ou telle personne de votre entourage peut avoir, ou encore aux différents échecs personnels ou professionnels de personnes autour de vous… bref, des situations où l’on se met à penser d’une façon ou d’une autre qu’une tierce personne semble mieux réussir et avoir plus que nous, ou au contraire semble être un peu moins bien lotie, nous en rencontrons tous les jours. Cela fait bien longtemps que ce phénomène intéresse la recherche en psychologie sociale. Il a d’ailleurs été théorisé en 1954 par Léon Festinger [3], figure influente de la discipline. Dans sa théorie, il définit la comparaison sociale comme un « processus de réflexion sur une information concernant une ou plusieurs autres personnes en relation avec soi-même », en d’autres mots, il s’agit de réfléchir à des compétences, des caractéristiques, des discours, des faits, etc., observés chez autrui et que l’on met ensuite en lien avec nous-mêmes. 

Qu’est-ce qui nous motive à nous comparer ?

Mais est-ce que ça sert à quelque chose de se comparer aux autres ? A quels besoins répond la comparaison sociale ? [4] Tout d’abord, la comparaison sociale peut répondre au besoin dit « d’évaluation », c’est-à-dire le besoin des individus de s’autoévaluer correctement. Pour ça, la comparaison va servir à récupérer des informations objectives chez autrui pour pouvoir se positionner par rapport aux autres et ainsi s’évaluer soi-même. Par exemple, demander à un ou une camarade de l’université les notes et commentaires reçus pour son examen, afin de situer notre propre performance dans cette matière. 

Ensuite, la comparaison peut servir au besoin dit de « réhaussement ». Ce besoin est fondamental et concerne notre motivation à maintenir une image de soi positive. On va alors chercher des comparaisons aux autres qui nous mettent en valeur pour nous aider à maintenir cette image gratifiante de nous-même. Par exemple, aller regarder les CV de collègues légèrement moins qualifié·e·s que nous pour se réconforter dans notre compétence, ou encore regarder les pages Instagram et Twitter de nos ami·e·s qui sont moins suivies que les nôtres pour s’assurer de notre popularité, ou même comparer la qualité gustative des préparations amenées à un apéritif dinatoire pour se rassurer sur nos talents de chef… Ces stratégies peuvent paraître un peu sournoises, mais nous sommes très souvent amené·e·s à les utiliser car elles permettent des gains, certes temporaires, mais efficaces, pour l’estime de soi. Et puis bon… on va pas se mentir, la tarte de Martin n’était quand même pas dingue non ?

Enfin, la comparaison peut répondre à un besoin dit « d’amélioration », où nous allons nous comparer aux autres pour nous inspirer et nous améliorer. Dans ce cas, nous allons nous comparer, aux méthodes de travail de personnes que l’on admire ou que l’on considère efficientes par exemple, pour essayer d’arriver à leur niveau de réussite, ou alors on pourra se comparer aux qualités humaines d’une ou d’un ami·e proche avec l’idée de faire évoluer notre façon d’être dans cette direction (en travaillant à devenir plus empathique, honnête ou sociable, etc.). L’idée étant de se comparer pour tendre à une meilleure version de nous-même.

Est-ce que la comparaison est un processus toujours conscient ?

Attention, il ne faut effectivement pas croire que ce processus est toujours volontaire ou conscient. Au contraire, il s’effectue bien souvent en dehors de notre contrôle. En effet la comparaison sociale peut se déclencher de façon tout à fait automatique, c’est-à-dire sans que l’on en ait forcément conscience sur le moment même. Plusieurs travaux se sont penchés sur l’automaticité des comparaisons [e.g., 5, 6], parfois appelées « comparaisons implicites », et ont par exemple montré que l’exposition quasi-subliminale (c’est à dire, un message qu’on montre si brièvement qu’il est perçu comme un flash de lumière) à des modèles de mode très minces, comme ceux très fréquemment représentés dans la publicité, engendre chez des femmes l’activation de pensées négatives et diminue l’estime de soi [6]. Autrement dit, présenter des photos de modèles minces à une vitesse tellement rapide que les participantes n’ont même pas le temps de réaliser qu’elles les ont vu, suffit à générer des pensées néfastes pour l’image de soi. D’autres résultats similaires suggèrent que des individus à qui l’on communique des informations concernant la meilleure performance d’une autre personne à l’exercice qu’ils et elles sont en train de réaliser génère chez elles et eux une impression de moins bonne réussite à l’exercice, alors même que ces informations leur avaient été communiqué dans un contexte qui ne permettait pas un traitement conscient [5]. Nous pouvons donc subir les conséquences de certaines comparaisons sans pour autant avoir eu conscience que la comparaison a eu lieu.

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Les conséquences de ces comparaisons aux autres

Résumer tous les résultats obtenus dans le domaine de la comparaison sociale n’est pas mince à faire car il s’agit d’un des champs de recherches les plus foisonnant en psychologie sociale, encore aujourd’hui beaucoup de publications scientifiques paraissent toutes les semaines sur le sujet. Les dernières revues de littérature sur cette question permettent cependant de tirer quelques leçons de ces 70 années de recherche [7, 8]. Notamment sur la comparaison dite « ascendante » impliquant des comparaisons à un autrui qui fait mieux que soi, qui engendre tout un tas de conséquences pour le comportement et l’image du soi. Pour ce type de comparaison sociale, les effets varieront cependant en fonction du domaine de la comparaison, comme le domaine des compétences intellectuelles, du sociales, etc. Par exemple, se comparer à une personne perçue comme plus intelligente peut être délétère pour notre image de soi car nous aurons alors tendance à se sentir bien moins doué·e.

En revanche, les comparaisons dites « descendantes », c’est-à-dire se comparer à quelqu’un qu’on perçoit comme moins compétent, renforcera notre image de nous-même par rapport au domaine pour lequel on se compare et notre estime de soi. Ces résultats ont été retrouvés dans de nombreuses recherches expérimentales menées dans les laboratoires de psychologie, mais également dans des recherches utilisant des méthodes de terrain comme la méthode dite du “journal intime” où les participantes et participants rapportent les comparaisons qu’ils et elles font au cours de la journée sur une période de quelques semaines [2].

Si se comparer à des personnes qui réussissent est délétère pour l’image de soi et que se comparer à des personnes en échec ou réussissant moins que nous est valorisant, il n’en va pas de même pour les conséquences relatives au comportements (soit ce que l’on fait). Effectivement, se comparer à des personnes qui réussissent mieux que nous à certaines tâches, comme des tâches de raisonnement, sera souvent bénéfique et entraînera de meilleures performances pour nous. Bien que cet effet dépende fortement du type de tâche effectué et de leur complexité [9]. Les comparaisons peuvent également s’effectuer dans le domaine social, autrement dit vis-à-vis des comportements sociaux ou moraux d’autrui. Nous comparer à des « modèles moraux », c’est-à-dire des personnes exhibant des comportements humains et éthiques exemplaires, nous amènera généralement à nous comporter un peu mieux à ce niveau [10, 11]. Ainsi, observer autrui donner de l’argent à une personne dans le besoin augmentera de façon significative la quantité d’argent que nous donnerons par la suite à cette personne. En revanche, observer cette « supériorité morale » chez autrui va de pair avec des influences plus négatives pour l’image de soi. En effet, personne n’aime se comparer à plus vertueuse et plus vertueux que soi. La conséquence est que l’on aura tendance à rejeter ces modèles moraux et à les percevoir de façon très négative dans tous les autres domaines. Cette réaction est très typique quand nous sommes confronté·e·s aux « stars de la vertue » qui militent pour des causes éthiques, que ce soit par exemple les têtes d’affiche de la lutte pour la protection de l’environnement, ou pour l’abolition de la consommation de produits animaux.

En résumé, la comparaison sociale est un phénomène très présent au quotidien, qui est porteur d’effets bénéfiques comme néfastes. Les conséquences de nos comparaisons aux autres varient en fonction des domaines de comparaison, mais également en fonction de plusieurs autres facteurs, comme notre proximité relationnelle avec la personne à qui l’on se compare [12], ou encore notre niveau d’estime de soi [13], etc. Alors est-ce que pour vous la « la comparaison est voleuse de joie » ? Ou au contraire, est-ce que la comparaison sociale est source de motivation et de valorisation dans votre quotidien ? 

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, réalisée par Julie Terache, chercheuse post-doctorante à l’Université libre de Bruxelles, avec le soutien et les relectures de Sarah Leveaux, Magali Beylat, Julia Eberlen et Fiona Adrien. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes ! 

[1] Locke, K. D., & Nekich, J. C. (2000). Agency and Communion in Naturalistic Social Comparison. Personality and Social Psychology Bulletin, 26(7), 864–874. https://doi.org/10.1177/0146167200269011

[2] Wheeler, L., & Miyake, K. (1992). Social comparison in everyday life. Journal of Personality and Social Psychology, 62(5), 760–773. https://doi.org/10.1037/0022-3514.62.5.760

[3] Festinger, L. (1954). A Theory of Social Comparison Processes. Human Relations, 7(2), 117–140. https://doi.org/10.1177/001872675400700202

[4] Corcoran, K., Crusius, J., & Mussweiler, T. (2011). Social comparison: Motives, standards, and mechanisms. In D. Chadee (Ed.), Theories in social psychology (p. 119–139). Wiley Blackwell.

[5] Gilbert, D. T., Giesler, R. B., & Morris, K. A. (1995). When comparisons arise. Journal of Personality and Social Psychology, 69(2), 227-236. https://psycnet.apa.org/doi/10.1037/0022-3514.69.2.227

[6] Chatard, A., Bocage-Barthélémy, Y., Selimbegović, L., & Guimond, S. (2017). The woman who wasn’t there: Converging evidence that subliminal social comparison affects self-evaluation. Journal of Experimental Social Psychology, 73, 1-13. https://doi.org/10.1016/j.jesp.2017.05.005

[7] Gerber, J. P., Wheeler, L., & Suls, J. (2018). Psychological Bulletin A Social Comparison Theory Meta-Analysis 60+ Years On A Social Comparison Theory Meta-Analysis 60+ Years On. Psychological Bulletin, 144(2), 177-197. https://doi.org/10.1037/bul0000127

[8] Terache, J., & Yzerbyt, V. (in prep). Social Comparison and the Big Two: The Place of Warmth and Competence in Interpersonal Interactions.

[9] Muller, D., & Fayant, M.-P. (2010). On Being Exposed to Superior Others: Consequences of Self‐Threatening Upward Social Comparisons. Social and Personality Psychology Compass, 4(8), 621–634. https://doi.org/10.1111/j.1751-9004.2010.00279.x

[10] Monin, B. (2007). Holier than me? Threatening social comparison in the moral domain. Revue Internationale de Psychologie Sociale, 20(1), 53–68.

[11] Monin, B., Sawyer, P. J., & Marquez, M. J. (2008). The rejection of moral rebels: resenting those who do the right thing. Journal of Personality and Social Psychology, 95(1), 76–93. https://doi.org/10.1037/0022-3514.95.1.76 

[12] Tesser, A., Millar, M., & Moore, J. (1988). Some Affective Consequences of Social Comparison and Reflection Processes: The Pain and Pleasure of Being Close. Journal of Personality and Social Psychology, 54(1), 49–61. https://doi.org/10.1037//0022-3514.54.1.49

[13] Aspinwall, L. G., & Taylor, S. E. (1993). Effects of social comparison direction, threat, and self-esteem on affect, self-evaluation, and expected success. Journal of Personality and Social Psychology, 64(5), 708–722. https://doi.org/10.1037/0022-3514.64.5.708