Comment notre cerveau réagit-il lorsque nous commettons des crimes sur ordre d’autrui ? Emilie Caspar

“J’ai testé 650 personnes. Seules 6 ont refusé d’administrer un vrai choc électrique à quelqu’un pour ne pas gagner 5 centimes de plus”

Emilie Caspar (Twitter: @CasparEmilie), chercheuse en neurosciences sociales s’est intéressée à la façon dont notre cerveau réagit lorsque nous faisons du tort à autrui – et en particulier lorsque, comme dans l’expérience de Milgram, nous infligeons des chocs électriques sur ordre. Utilisant des méthodes  neurophysiologique, elle montre en particulier que l’on se sent moins responsable de ses actes et que l’on manifeste moins d’empathie à l’égard de la victime par rapport à une situation dans laquelle on n’obéit pas. Ces résultats ont évidemment des implications importantes pour comprendre l’expérience de Milgram et plus généralement les soubassements psychologiques des crimes commis en situation de soumission à l’autorité. 

Le psychologie scientifique s’intéresse aussi aux bases neurologiques du comportement. C’est pourquoi, dans la continuité de notre première discussion sur l’étude de Milgram, nous vous proposons un entretien avec Emilie Caspar qui s’est intéressée à la question de l’agentivité, mais aussi de l’empathie, selon une approche neuroscientifique.

Sa recherche a attiré l’attention des médias, entre autre celui de la BBC qui a écrit à son sujet (en anglais). 

Ses travaux sont également évoqués dans le documentaire Netflix “The most unknown”, qui décrit les grand défis scientifiques contemporains (voir ci-dessous). 

Devoirs d’enquêtes est une émission belge (RTBF = Radio Télévision Belge Francophone).

L’institutrice qui a inspiré les études menés par Emilie

Les raisons éthiques évidentes dont Emilie parle sont notamment le manque de consentement éclairé et la situation de détresse psychologique à laquelle les participants étaient exposés pendant l’expérience de Milgram. Pour plus de détail, écoutez ou lisez les shownotes du premier épisode de ce podcast.

Lexique

La neuropsychologie est une discipline relativement nouvelle. Les chercheurs s’intéressent aux mêmes processus psychologiques que la psychologie “classique” comme la mémoire, l’apprentissage, les émotions etc. Mais en plus d’observer et de mesurer les comportements humains, les neuropsychologues mesurent également l’activité du système nerveux et essayent d’établir un lien entre ce qui est observé à ces deux niveaux. Si vous voulez en apprendre plus à propos du système nerveux, ce site est un excellent outil.

Les “Neurosciences” incluent tout.es les chercheur.euses qui s’intéressent au système nerveux (de tous les êtres vivants). C’est une discipline se voulant “interdisciplinaire”, puisqu’elle regroupe des chercheur.euses qui ont aussi bien fait des études de psychologie, de médecine, de chimie, de biologie, mais aussi d’informatique, etc.

Les chercheur.euses en neurosciences sociales s’intéressent plus particulièrement aux phénomènes liés à notre comportement sociale,  aux interactions ou la perception de l’autre, et les mesurent grâce aux techniques de neuroimagerie.

Paradigme : modèle ou représentation cohérente propre à un problème et reposant sur des fondements théoriques/méthodologiques définis (ex : modèle théorique, courant de pensée, etc.)

Un paradigme expérimental est la procédure mis en place dans une étude scientifique qui permet d’étudier la question de recherche. Dans le cas d’Emilie, cette question est: est-ce qu’une personne se sente responsable de ses actions si elle suit des ordres? Le paradigme expérimental est la procédure exacte, décrit en détail, qui permet à d’autre chercheurs (et Emilie) de reproduire les mêmes conditions expérimentales. Ainsi, il est possible de modifier des parties précis de la procédure et d’apprendre plus sur des mécanismes psychologiques sous-jacentes.

Un paradigme écologique est une situation expérimentale qui reste proche de la vrai vie. Ceci est à considérer dans des termes relative: Le paradigme d’Emilie est écologique car il y a vraiment deux personnes qui interagissent et qui s’infligent vraiment des chocs électriques, et il y a vraiment de l’argent à gagner. On peut considérer ceci comme une situation réaliste par rapport à d’autres situations dans lesquelles une personne est incité de suivre des ordres et/ou de nuire à une personne. 

Pour plus de détails sur le paradigme expérimental de base utilisé par Emilie, lisez son article scientifique bien illustré et librement accessible.

“Quand on obéit à un ordre, les zones cérébrales associées à l’empathie et au sentiment de responsabilité sont atténuées”. 

IRM et EEG, qu’est-ce que c’est ? 

EEG = électroencéphalographie, une technique non-invasive qui permet d’enregistrer l’activité électrique du cerveau. Avec un EEG, on mesure l’activité du cerveau avec une très bonne précision, mais il permet uniquement une localisation très global de l’activité mesurer (du style “plutôt à gauche”, “vers l’avant”). Cette vidéo du palais des sciences est une bonne introduction. 

IRM = Imagerie par résonance magnétique. Contrairement à l’EEG, le point fort du IRM est la localisation, au détriment de la mesure de l’activité.

“Quand on obéit à un ordre, bien que ce soit nous qui appuyons sur les boutons, notre sentiment d’être l’auteur de l’action est atténuée”. 

Les neurones miroirs

Vidéo courte expliquant le principe des neurones miroirs

La benevolencija est une organisation qui reprend le concept des “radio soaps”, des soap opéras pour radio, afin de diffuser des messages de paix et de tolérance dans des régions en conflit.

The most unknown – un film sur les dernières grands mystères scientifiques. Il est disponible sur Netflix  La séléction de ces questions reste à discuter, mais nous (=Julia)  sommes d’accord que la psychologie a encore des mystères à résoudre. 

Si seule la partie avec Emilie (et Axel Cleeremans) et la main robotique vous intéresse, cliquez sur ce lien.

Petites biographies de Howard Zinn & Dian Fossey

Howard Zinn (1922 – 2010) est un historien et politologue américain qui  a été lieutenant bombardier naviguant durant la seconde guerre mondiale. Cette expérience l’a mené à un positionnement politique pacifiste où il élève la désobéissance civile au rang de devoir.  Il a donc été un acteur de premier plan dans des mouvements des droits civiques et du courant pacifiste aux États-Unis. Il est considéré comme l’une des figures intellectuelles majeures de la gauche américaine. 

Dian Fossey (1932 – 1985) est une éthologue, zoologiste et primatologue américaine, spécialisée dans l’étude du comportement des gorilles de l’Est. Elle les a étudiés régulièrement dans les forêts de montagne du Rwanda. Cet engagement lui a d’ailleurs coûté la vie puisqu’elle a été assassiné en 1985. Vous pouvez apprendre plus sur sa vie et sur la recherche qu’elle a mené via le lien suivant ici.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez lire l’un des principaux articles d’Emilie sur le sujet: 
Caspar, E. A., Christensen, J. F., Cleeremans, A., & Haggard, P. (2016). Coercion changes the sense of agency in the human brain. Current biology, 26(5), 585-592.