Détecter les mensonges, est-ce aussi évident que nous le pensons ?

L’épisode d’aujourd’hui a été écrit par Frédéric Tomas, docteur en psychologie sociale et cognitive à l’université Paris 3, avec l’aide de Kenzo Nera et Sarah Leveaux. Il vous est conté par Kenzo Nera.

Qui n’a jamais rêvé de pouvoir détecter les duperies des autres ? D’être capable d’analyser le comportement, la voix d’autrui afin de s’assurer que ce qu’une personne nous dit est vrai ? Ce sont des questions légitimes, puisque le mensonge serait en effet une pratique quotidienne. Vous, vos proches, et moi-même mentons en moyenne entre 2 et 3 fois par jour (DePaulo et al., 1996). Nous avons donc tout intérêt à tenter de débusquer les menteuses et les menteurs, pour ne pas nous laisser duper ! Pourtant, s’il est un constat récurrent dans la littérature scientifique sur le mensonge, c’est le suivant : l’être humain est un excellent menteur… Mais un piètre détecteur de mensonge !

Mais, pourquoi nous est-il si difficile de détecter les mensonges ? L’une des raisons communément évoquées touche à nos croyances. Songez un instant aux différents indices que vous jugez pertinents pour détecter le mensonge. Peut-être penserez-vous aux yeux, qui traduiraient une forme de nervosité de la part de la personne qui ment et ne peut soutenir votre regard ? Ou peut-être vous imaginez-vous cette personne en train de se gratter le visage, le nez, ou l’arrière de la nuque ? Peut-être, enfin, imaginez-vous cette personne en train de transpirer, d’avoir le cœur qui bat la chamade par crainte d’être démasquée ? Il s’agit là de croyances communes qui participent à ce qu’on pourrait appeler une représentation sociale de la personne qui ment. Cette représentation peut être en fait résumée en quelques mots : l‘individu qui ment est nerveux.

Mais à quel point cette représentation est-elle partagée ? Une étude internationale publiée en 2006 nous permet de nous faire une idée sur la question. L’objectif de cette étude était d’évaluer les croyances relatives aux indicateurs du mensonge dans différents pays. À l’issue de la collecte des données, plusieurs milliers de participants et participantes issues de 75 pays avaient été interrogées, dans 43 langues différentes.

Les scientifiques leur ont demandé, dans un premier temps, de répondre à une question ouverte : Comment pouvez-vous dire que quelqu’un ment ? À cette question, plus de la moitié des personnes interrogées ont indiqué que le détournement du regard était un indicateur de mensonge. D’autres éléments, tels que les signes de nervosité, les incohérences, ou les changements de posture ont également été mentionnés.

Cette étude a également examiné les représentations des personnes menteuses par le biais de questions fermées. Il leur était par exemple demandé s’ils pensaient qu’une personne en train de mentir avait ou non tendance à soutenir le regard de l’individu face à elle.

À ces questions fermées, une large majorité des sujets ont également répondu que la personne qui ment soutiendrait moins souvent le regard de la personne face à elle. De même, la majorité des sujets ont estimé qu’une personne qui ment changerait davantage de posture, se gratterait ou se toucherait davantage, ou produirait un récit plus long que les personnes qui ne mentent pas.

Ces croyances semblent donc largement répandues dans le monde et mettent en avant une représentation générale de la personne qui ment comme une personne nerveuse.

Mais qu’en est-il vraiment ? Cette représentation est-elle fidèle à la réalité? Bien entendu, la personne qui ment peut ressentir et exprimer de la nervosité. Mais elle peut également ressentir d’autres émotions, comme de la honte, de la culpabilité, ou encore le plaisir de duper (Ekman, 1985). De même, une personne sincère peut aussi se sentir nerveuse à l’idée d’être soupçonnée de mensonge ou d’être jugée coupable de ce dont on l’accuse. La réalité n’est donc pas aussi simple que ce que l’hypothèse de la nervosité laisse croire.

En réalité, en matière de détection du mensonge, il y a consensus à dire qu’en fait, il n’existe pas de nez de Pinocchio. En d’autres termes, aucun indicateur ne permet de détecter le mensonge de façon certaine (Luke, 2019). Et c’est là tout le problème : il existe un écart important entre croyances communes et résultats des recherches scientifiques. Ce que nous pensons être des indices de mensonge chez une personne, n’est en fait pas du tout vérifié scientifiquement.

Et pourtant, de nombreux acteurs et actrices de terrain, qui doivent quotidiennement s’assurer de la véracité de témoignages, semblent persuadées de pouvoir détecter le mensonge sur base de l’hypothèse de la nervosité. Plusieurs études (par exemple, Bogaard et al., 2016) indiquent par exemple que les membres de la police ont sensiblement les mêmes croyances que le grand-public concernant le mensonge et sa détection. Ainsi, même s’il y a fort à parier que ces personnes sont plus souvent confrontées au mensonge que vous ou moi, il semblerait que leurs jugements en la matière reposent aussi sur des indicateurs erronés. Dans cette logique, il pourrait arriver que des personnes soient accusées, voire condamnées à tort, à cause de nos fausses croyances sur le mensonge.

Dans la même veine, l’utilisation du polygraphe, autorisée notamment en Belgique, repose aussi sur l’hypothèse de la nervosité. Le polygraphe, c’est l’image classique du détecteur de mensonge. C’est cette machine qui mesure votre transpiration, votre fréquence cardiaque, votre pression artérielle, votre respiration pour déterminer si vous mentez ou non. Vous l’aurez compris, ces indicateurs sont communément révélateurs de la nervosité, mais pas nécessairement du mensonge. L’utilisation du polygraphe est donc sérieusement remise en question par la communauté scientifique pour la détection du mensonge. Pourtant, cet outil est utilisé par la police belge, et s’est même vu octroyer un cadre légal officiel en 2020 !

Gardons donc à l’esprit qu’en matière de mensonge, nous sommes clairement meilleur.es lorsqu’il s’agit de les produire que de les détecter. Notre humilité reste notre meilleur atout lorsque nous pensons les avoir débusqués !

Merci d’avoir écouté cet épisode de 100g de Savoirs.

L’épisode a été écrit par Frédéric Tomas, docteur en psychologie sociale et cognitive à l’université Paris 3, avec l’aide de Kenzo Nera et Sarah Leveaux. A très bientôt pour un nouvel épisode !

Références

Bogaard, G., Meijer, E. H., Vrij, A., & Merckelbach, H. (2016). Strong, but wrong: Lay people’s and police officers’ beliefs about verbal and nonverbal cues to deception. PloS one11(6), https://doi.org/e0156615.

DePaulo, B. M., Kashy, D. A., Kirkendol, S. E., Wyer, M. M., & Epstein, J. A. (1996). Lying in everyday life. Journal of Personality and Social Psychology, 70(5), 979. (pdf)

Ekman, P. (1988). Lying and nonverbal behavior: Theoretical issues and new findings. Journal of Nonverbal Behavior12(3), 163-175. (pdf)

Global Deception Research Team. (2006). A world of lies. Journal of Cross-Cultural Psychology, 37(1), 60-74. (pdf)

Luke, T. J. (2019). Lessons from Pinocchio: Cues to deception may be highly exaggerated. Perspectives on Psychological Science14(4), 646-671. (pdf)