Cerveau droit et cerveau gauche : entre science et croyance, déconstruire les neuromythes

Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique. Si 1000 grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ? Cet épisode a été écrit par Joanna Banach, étudiante en master approfondi en psychologie de l’Université libre de Bruxelles, avec a relécture des membres du podcasts Milgram de Savoirs et vous est conté par Joanna. 

illustration crée par l’autrice, Joanna Banach, sur Canva

« Quel est votre hémisphère cérébral dominant ? », « Êtes-vous plutôt cerveau droit créatif ou cerveau gauche analytique ? », « Souhaitez-vous savoir quel hémisphère cérébral domine ? » – Voilà bien des titres accrocheurs qui nous amènent vers des quizz proposés par certains magazines de psychologie mainstream. 

Ces diagnostics, formulés de manière suffisamment vague (cfr. effet Barnum) mais toujours positives de sorte que l’on en sort flatté.e avec l’un ou l’autre talent, peuvent attirer. Cependant, l’idée sous-jacente à cette tendance est qu’une personne à cerveau gauche dominant aurait un mode de pensée davantage analytique et logique, alors qu’une personne à hémisphère droit serait davantage créative et intuitive. Ce qui est loin d’être scientifiquement fondé.

Cette croyance populaire est pourtant encore bien ancrée aujourd’hui à tel point que, dans certains pays, des programmes éducatifs se vantent de pouvoir cibler le développement d’un hémisphère donné chez les enfants afin d’améliorer leur développement et leurs capacités d’apprentissage. On voit également défiler, sous cet angle, certains conseils douteux, soit disant basés sur des données neurocognitives, quant à la manière dont on peut tirer profit de notre hémisphère dominant, comme par exemple des puzzles qui permettraient de travailler la dimension davantage logique de notre hémisphère gauche. 

S’il est vrai que chacun d’entre nous se démarque par sa personnalité et ses compétences, rien n’indique en revanche que l’on peut lier ces caractéristiques personnelles ou nos schémas mentaux – c’est-à-dire la manière dont nous avons tendance à penser-, avec la prédominance d’un hémisphère par rapport à un autre [1]. Une telle conclusion découle d’une mauvaise interprétation, voire d’une extrapolation des données scientifiques dont on dispose. Il s’agit de ce qu’on appelle un neuromythe, c’est-à-dire d’une croyance erronée sur le fonctionnement de notre cerveau.

Dans cet épisode, nous allons donc essayer de démêler le vrai du faux, en  vous exposant quelques  résultats scientifiques actuels sur le sujet de l’asymétrie hémisphérique, et la manière dont il convient de les comprendre. 

Partons tout d’abord des connaissances neuroscientifiques qui pourraient nous pousser à adopter une vision aussi binaire. Le cerveau est en effet anatomiquement composé de deux hémisphères et bien que ces deux hémisphères soient physiologiquement symétriques, cette symétrie n’est pas forcément vraie sur le plan fonctionnel. Pour le dire plus simplement : nous avons deux hémisphères qui se ressemblent dans la structure mais qui ne fonctionnent pas de la même manière. La preuve la plus tangible de cette asymétrie fonctionnelle est la préférence manuelle quasi-universelle pour la main droite [2]. 

Il faut ensuite citer la célèbre étude de Paul Broca qui, en 1865, a constaté qu’une lésion au niveau d’une zone bien déterminée de l’hémisphère gauche, qui portera son nom – aire de Broca, était associée à un déficit de langage [3]. L’article qu’il présenta devant la Société d’anthropologie à Paris se clôturait par la célèbre phrase : Nous parlons avec l’hémisphère gauche[4]. On sait ainsi aujourd’hui que pour 95% des droitiers et 75% des gauchers le langage est effectivement davantage pris en charge par l’hémisphère gauche. Dans le reste des cas, la prise en charge est soit bilatérale (assurée par les deux) soit assurée par l’hémisphère droit [5].

Au cours du temps, d’autres latéralisations (traitement principalement associé à un hémisphère cérébral) ont été mises en évidence. Par exemple, notre attention visuo-spatiale, que nous utilisons notamment lorsque nous devons repérer un.e ami.e dans une foule ou chercher le beurre dans le frigo, est identifiée comme reposant sur une spécialisation de l’hémisphère droit [4, 6]. 

La latéralisation des fonctions cognitives – telle qu’elle est mise en évidence dans la littérature scientifique – ne signifie pas pour autant que nos hémisphères cérébraux fonctionnent indépendamment avec chacun leur style de pensée respectif – et ce, pour au moins deux raisons. 

Premièrement, le fait qu’un hémisphère donné ait une capacité supérieure à accomplir certaines fonctions ne signifie pas que l’autre hémisphère n’a aucune capacité du tout. La prise en charge efficace des tâches cognitives nécessite en effet une coopération entre les deux hémisphères [7]. Si l’on reprend l’exemple du langage qui est vraiment l’exemple-type d’une fonction latéralisée, il a néanmoins été montré que l’hémisphère droit participait à l’inférence du sens général de ce qui était communiqué, de même qu’à la compréhension du sarcasme ou de l’humour [8]. Ceci est un des arguments avancés dans la littérature scientifique pour montrer qu’un hémisphère donné ne contrôle jamais totalement, à lui seul, une fonction cognitive. Un échange d’information massif est en effet permis entre les deux hémisphères grâce au corps calleux, un faisceau composé de plus de 200 millions de fibres nerveuses [9].

Deuxièmement, des études en neuroimagerie montrent que la latéralisation des fonctions cognitives est une caractéristique locale, c’est-à-dire spécifique à certains réseaux cérébraux bien précis, et non pas une propriété globale de notre cerveau [1]. En effet, un individu ne pourra jamais être “cerveau droit” ou “cerveau gauche”, ce sont uniquement des réseaux neuronaux bien localisés qui peuvent être asymétriquement activés. 

La spécialisation de certaines aires cérébrales dans les hémisphères droites ou gauche présente un avantage non négligeable car elle permet notamment le traitement parallèle de processus cognitifs complémentaires dans des situations qui nécessitent de réaliser des tâches simultanées [4]. Par exemple, dans le cadre d’une expérience où des poussins étaient amenés à rapidement chercher des grains dispersés parmi des cailloux, tout en étant vigilants face aux oiseaux qui rodaient autour, les chercheurs.euses ont constaté que les poussins qui présentaient une latéralisation de ces fonctions cognitives (qui était induite par une exposition des oeufs à la lumière pendant les derniers jours de l’incubation) effectuaient la tâche de manière plus efficace que les individus chez qui ces fonctions cognitives n’étaient pas latéralisées [10].

Neurologiquement parlant, l’asymétrie peut donc être synonyme de meilleure performance. Mais attention de bien accorder à cette asymétrie la bonne signification, qui est celle de la latéralisation de certaines fonctions cognitives. Cela sous-entend  l’activation plus forte de certains réseaux neuronaux bien localisés, et non pas une simple dichotomie générale entre un “cerveau droit” et un “cerveau gauche” ! 

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs réalisée par Joanna Banach, étudiante en master approfondi de l’université libre de Bruxelles et conté par elle-même.

Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants! 

 N’hésitez pas à consulter notre site, milgram.ulb.be, qui contient des informations complémentaires où vous trouverez notamment le texte et les références de cet épisode. 

Vous pouvez vous abonner à notre podcast sur Apple Podcast, Spotify ou Soundcloud, et nous suivre sur Facebook, Instagram et Twitter. Si vous aimez ce podcast, n’hésitez pas à soutenir en nous laissant des étoiles sur Spotify, Apple Podcast et facebook. Votre soutien compte beaucoup. A très vite !

[1] Nielsen, J. A., Zielinski, B. A., Ferguson, M. A., Lainhart, J. E., & Anderson, J. S. (2013). An evaluation of the left-brain vs. right-brain hypothesis with resting state functional connectivity magnetic resonance imaging. PloS one, 8(8), e71275. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0071275

[2] Corballis, M. C. (2014). Left brain, right brain: facts and fantasies. PLoS biology, 12(1), e1001767. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.1001767

[3] Broca, P. (1865). Sur le siège de la faculté du langage articulé. Bulletins et Memoires de la Societé d’Anthropologie de Paris, 6(1), 377-393. https://doi.org/10.3406/bmsap.1865.9495

[4] Güntürkün, O., Ströckens, F., & Ocklenburg, S. (2020). Brain lateralization: a comparative perspective. Physiological reviews. https://doi.org/10.1152/physrev.00006.2019

[5] Pujol, J., Deus, J., Losilla, J. M., & Capdevila, A. (1999). Cerebral lateralization of language in normal left-handed people studied by functional MRI. Neurology, 52(5), 1038-1038. https://doi.org/10.1212/WNL.52.5.1038

[6] de Schotten, M., Dell’Acqua, F., Forkel, S., Simmons, A., Vergani, F., Murphy, D. G., & Catani, M. (2011). A lateralized brain network for visuo-spatial attention. Nature Precedings, 1-1. https://doi.org/10.1038/npre.2011.5549.1

[7] Shin, D. D., Lee, M., & Bong, M. (2022). Beyond left and right: Learning is a whole-brain process. Theory Into Practice, 61(3), 347-357. https://doi.org/10.1080/00405841.2022.2096386

[8] Lindell, A. K. (2006). In your right mind: Right hemisphere contributions to language processing and production. Neuropsychology Review, 16(3), 131–148. https://doi.org/10.1007/s11065-006-9011-9

[9] Goldstein, A., Covington, B. P., Mahabadi, N., & Mesfin, F. B. (2022). Neuroanatomy, Corpus Callosum. In StatPearls. StatPearls Publishing.[10] Rogers, L. J., Zucca, P., & Vallortigara, G. (2004). Advantages of having a lateralized brain. Proceedings of the Royal Society of London. Series B: Biological Sciences, 271(suppl_6), S420-S422. https://doi.org/10.1098/rsbl.2004.0200