Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique.
Si mille grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?
Cet épisode a été écrit par Joffrey Fuhrer, doctorant à l’Université de Genève, avec la collaboration de Kenzo Nera. Il a été relu pour l’ensemble de l’équipe et vous est conté par Kenzo Nera.
Vous êtes-vous déjà posé la question du sens de la vie – de la raison profonde de notre présence sur terre ? Cette question peut sembler métaphysique, et lointaine de nos préoccupations de la vie de tous les jours. Mais que diriez-vous si on vous disait que le sens de la vie joue un rôle plus important que ce qu’il n’y paraît dans votre quotidien ? Cela peut se comprendre lorsque l’on tourne la question différemment : quel est le sens de VOTRE vie ? Comme l’écrit Frank Martela, chercheur en psychologie et philosophie – ou psychosophe ! – la question du sens de la vie ne concerne pas un sens cosmique qui nous serait donné par un Dieu ou l’univers, mais plutôt le sens DANS la vie : ce qui fait que notre vie a du sens et vaut la peine d’être vécue.
En effet, la recherche en psychologie a montré qu’avoir du sens dans sa vie est primordial pour notre bon fonctionnement psychique et notre épanouissement. Les gens qui rapportent que leur vie a du sens sont également plus heureux [1] et satisfaits dans leur vie [2]. Ils rapportent moins d’états affectifs négatifs [3], de dépression et d’anxiété [1]. En bref, celles et ceux qui rapportent avoir une vie qui a du sens sont en général en bien meilleure santé psychologique et bien plus épanoui·es.
Concrètement, l’expérience psychologique du sens dans la vie est constituée de trois facettes : les buts, la cohérence, et le sentiment que notre vie a de la valeur [4]; [5]; [6] :
Premièrement, un état dit conatif, autrement dit, une motivation, celle de chercher des buts et une direction à notre vie : nous faisons l’expérience que notre vie a du sens lorsque nous avons des objectifs que nous poursuivons et qui nous semblent importants. Par exemple, cela peut passer par être là pour sa famille, vouloir lutter contre le réchauffement climatique ou encore contribuer à l’avancement des connaissances.
Deuxièmement, un état dit cognitif, celui de juger que notre vie possède une certaine cohérence, qu’elle est compréhensible : une vie qui a du sens, c’est pouvoir la juger intelligible, pouvoir la comprendre. La direction que prend notre vie doit nous apparaître cohérente, elle ne doit pas nous apparaître comme une succession d’expériences qui ne font pas sens à nos yeux.
Enfin, faire l’expérience que notre vie a du sens passe par un état dit affectif, le sentiment que celle-ci possède de la valeur, qu’elle a une certaine importance. A nos propres yeux, mais aussi pour notre entourage proche, ou encore pour une plus vaste communauté. En effet, difficile de trouver que notre vie a du sens lorsqu’on a le sentiment que nous sommes futiles, que nous n’avons aucune valeur !
Il est intéressant de noter qu’avoir du sens dans sa vie ne passe pas par le fait de se dire consciemment « ma vie a vraiment du sens ! », mais bien plutôt par la satisfaction des trois dimensions que nous venons de mentionner.
Mais est-ce que tout est susceptible d’apporter du sens à nos vies ? Et bien, oui et non. Tout le monde est différent, donc ce qui donnera du sens à la vie à l’un n’en donnera pas nécessairement à quelqu’un d’autre. Mais il est intéressant de noter que la recherche en psychologie a permis de montrer qu’il y a un certain nombre de sources particulières qui contribuent au sens de nos vies.
Par exemple, les activités qui favorisent la transcendance du soi [7]; [8] : pour le dire plus simplement, oeuvrer pour quelque chose que l’on considère plus grand que soi, qui nous donne la sensation de contribuer à quelque chose de conséquent, dont nous ne sommes qu’une partie. S’engager dans le secteur associatif est un bon exemple de ce genre d’activité, car cela nous permet de contribuer à quelque chose de collectif que nous n’aurions pu réaliser seuls et qui a pour vocation de contribuer positivement à la société.
L’actualisation de soi au travers d’activités est également très important pour avoir une vie qui a du sens [8]; [7] : l’actualisation du soi, c’est encore un terme psychologique un peu barbare, mais cela signifie simplement que nous avons le sentiment de développer notre plein potentiel et notre moi profond. En règle générale, ce qui permet de développer cette actualisation du soi, ce sont des activités qui nous mettent à l’épreuve, qui nous forcent à nous dépasser. Cela peut passer par pratiquer un sport ou une activité artistique de façon assidue.
La spiritualité est également une source régulièrement retrouvée dans les études, que celle-ci passe par la pratique d’une religion ou non [9]. Il n’y a pas de consensus sur le pourquoi, mais certains avancent que la pratique d’une spiritualité permet d’être actif au sein d’une communauté partageant une même vision du monde, et permet également de donner des buts dans sa vie du fait de ses croyances.
Enfin, une autre source majeure de sens dans sa vie, c’est l’appartenance à une communauté [10] : cela permet d’aimer et d’être aimé, d’avoir un sentiment d’harmonie dans nos relations, mais également, cela nous donne la motivation de nous occuper d’autres personnes que nous-même.
C’est d’ailleurs ce qui distingue, en tout cas en partie, le sens de la vie du bonheur. Le bonheur passe plutôt par la recherche d’émotions positives, de plaisir et l’évitement des émotions négatives, c’est un état psychologique plutôt centré sur soi, là où la recherche du sens dans la vie n’a que faire de l’inconfort que cela peut produire [11]. En résumé, pour donner du sens à sa vie, ce qui est important c’est d’avoir une vie cohérente et qui a de la valeur. Et cela passe par la poursuite de buts que nous jugeons importants, dont la finalité n’est pas notre bien-être personnel et qui ont la plupart du temps pour conséquence de rendre le monde meilleur. Comme aime à le répéter Frank Martela, le sens de la vie, c’est avant tout faire de notre mieux pour apporter du sens à la vie des autres !
Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs réalisée par Joffrey Fuhrer avec la collaboration de Kenzo Nera, et relue par toute l’équipe. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants !
Références:
[1] Debats, D. L., Van der Lubbe, P. M., & Wezeman, F. R. (1993). On the psychometric properties of the Life Regard Index (LRI): A measure of meaningful life: An evaluation in three independent samples based on the Dutch version. Personality and individual differences, 14(2), 337-345.
[2] Steger, M. F., Kashdan, T. B., Sullivan, B. A., & Lorentz, D. (2008). Understanding the search for meaning in life: Personality, cognitive style, and the dynamic between seeking and experiencing meaning. Journal of personality, 76(2), 199-228.
[3] Chamberlain, K., & Zika, S. (1988). Religiosity, life meaning and wellbeing: Some relationships in a sample of women. Journal for the Scientific Study of Religion, 411-420.
[4] Steger, M. F. (2012). Making meaning in life. Psychological Inquiry, 23(4), 381-385.
[5] George, L. S., & Park, C. L. (2017). The multidimensional existential meaning scale: A tripartite approach to measuring meaning in life. The Journal of Positive Psychology, 12(6), 613-627.
[6] Martela, F., & Steger, M. F. (2022). The role of significance relative to the other dimensions of meaning in life–an examination utilizing the three dimensional meaning in life scale (3DM). The Journal of Positive Psychology, 1-21.
[7] Fave, A. D., Brdar, I., Wissing, M. P., & Vella-Brodrick, D. A. (2013). Sources and motives for personal meaning in adulthood. The Journal of Positive Psychology, 8(6), 517-529.
[8] Schnell, T. (2009). The Sources of Meaning and Meaning in Life Questionnaire (SoMe): Relations to demographics and well-being. The Journal of Positive Psychology, 4(6), 483-499.
[9] Ivtzan, I., Chan, C. P., Gardner, H. E., & Prashar, K. (2013). Linking religion and spirituality with psychological well-being: Examining self-actualisation, meaning in life, and personal growth initiative. Journal of religion and health, 52(3), 915-929.
[10] Lambert, N. M., Stillman, T. F., Hicks, J. A., Kamble, S., Baumeister, R. F., & Fincham, F. D. (2013). To belong is to matter: Sense of belonging enhances meaning in life. Personality and Social Psychology Bulletin, 39(11), 1418-1427.
[11] Baumeister, R. F., Vohs, K. D., Aaker, J. L., & Garbinsky, E. N. (2013). Some key differences between a happy life and a meaningful life. The journal of positive psychology, 8(6), 505-516.