Case prison : quels effets psychologiques et cognitifs sur les detenu.es ?

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Si 1000 grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?

Cet épisode a été écrit par Elodie Kox, doctorante en psychologie cognitive à l’Université de Gand, ancienne avocate en droit de la propriété intellectuelle, et vous est conté par Inès Mentec.

An empty prison hallway
Photo de Matthew Ansley sur Unsplash

Imaginez que vous vous rendez en prison. Après avoir laissé votre téléphone et votre carte d’identité à l’entrée, vous passez le portique de sécurité. Vous avancez maintenant dans les couloirs, passez une succession de lourdes portes. Le bruit de ferraille des grilles qui se ferment se réverbère contre les murs. Des voix s’élèvent autour de vous. Et tandis que vous avancez, la sortie s’efface peu à peu derrière les successions de portes et de grilles, la prison vous avale. Ici, vous êtes coupé·e du monde extérieur. Vous ne décidez plus. Vos déplacements doivent être autorisés, ils sont surveillés. Ici, vous n’avez plus le contrôle et vous vous en remettez entièrement au personnel pénitentiaire dont vous dépendez totalement. Vous avez de la chance pourtant, vous n’êtes que visiteur ou visiteuse. 

La prison semble être une réalité lointaine, un monde à part souvent perçu comme ne concernant que celles et ceux qu’on y enferme. Mais derrière ses murs se cachent des réalités complexes et humaines qui influencent la société dans son ensemble, et donc vous et moi, car les délinquant·es sont condamné·es par la société en notre nom à toutes et tous. Mais dans le fond, c’est quoi la prison ? Quelles sont ses finalités ? Quels sont ses effets psychologiques ? Impacte-t-elle le cerveau ? Et pourquoi devrions-nous nous y intéresser ? La prison est loin d’être une boîte noire, une simple case sur un plateau de jeu. Nous verrons qu’y séjourner a des conséquences bien concrètes sur les personnes qui y sont enfermées mais également sur la société dans son ensemble.

Mais tout d’abord, à quoi sert la prison ? On attribue à la prison différentes fonctions dont celles de punir les auteur·ices d’infractions, de dissuader les éventuels délinquant·es de passer à l’acte et de neutraliser les individus jugés dangereux avec pour objectif général de protéger la société. Toutefois,  s’est progressivement développée l’idée que la prison devait également contribuer à la réinsertion des personnes détenues dans la société. Cet objectif se fonde sur l’idée que la prison pourrait avoir des effets bénéfiques sur les personnes détenues et les aider à se réinsérer dans la société. Or, c’est rarement le cas. En Belgique, mais la situation de notre pays n’est pas un cas isolé, près de 60 % des ancien.nes détenu·es récidivent, et ce, dans un délai très court, souvent moins de trois ans après leur libération (1). Au regard de ces chiffres, on peut interroger l’efficacité même de la prison, non seulement en tant qu’outil de sanction, mais surtout en tant que levier de réinsertion. Cette question est d’autant plus importante qu’aujourd’hui encore, en Belgique, on enferme plus de personnes qu’il n’y a de places en prison, ce qui mène à une surpopulation carcérale dramatique (2). L’État belge est régulièrement condamné en raison des conditions de détention jugées indécentes et constitutives de traitements inhumains dans plusieurs de ses prisons (3).

Cette tendance à incarcérer toujours davantage interroge : pourquoi enfermer plus ? Dans quel but ? L’argument de protection de la société est souvent avancé car la population carcérale est présentée comme dangereuse. Or, contrairement à des idées largement répandues, une majorité de personnes détenues sont des personnes ayant commis une infraction liées à l’usage ou à la vente de drogues ou à un vol (4,5).  Cela veut dire qu’en prison, il y a surtout des personnes en situation de grande précarité. Il faut donc sortir des idées reçues sur les personnes détenues qui seraient majoritairement des individus extrêmement dangereux. On a en outre intérêt à nous interroger sur l’impact de la prison sur les personnes détenues puisque ces personnes sortiront un jour.

Alors, quel est l’impact de la prison sur les personnes détenues ? La prison permet-elle de les préparer à se réinsérer dans la société ?

Retournons en prison. Mais cette fois-ci, imaginez que vous n’êtes plus seulement visiteur ·euse mais que vous avez été condamné·e. La prison devient votre quotidien pour des mois voire des années. Vos besoins les plus basiques – manger, prendre votre douche, vous vêtir, vous soigner, appeler vos proches ou encore votre intimité – dépendent totalement du personnel et de la prison. Vous passez la majeure partie de votre temps dans une cellule de 9m2 qui peut être vétuste et parfois insalubre. Il est possible que vous ayez à partager cet espace restreint avec une ou deux autres personnes. Peut-être dormez-vous sur un matelas au sol. Vos activités sont limitées, vous êtes coupé·e du monde, de votre famille, vos proches, des rôles que vous aviez : père, mère, employé·e, ami·e. Vous passez vos journées à attendre, vous perdez en autonomie, et il n’y a peu d’espace pour vous responsabiliser et reprendre le contrôle de votre vie. 

La prison, comme d’autres environnements sociaux (notre famille, l’école, notre lieu de travail), a des effets sur les personnes détenues et notamment des effets psychologiques. Ces effets peuvent se manifester aussi bien à court terme pendant la période de détention, qu’à long terme, c’est-à-dire après la libération. 

Tout d’abord, les effets de l’incarcération se traduisent généralement par une augmentation des niveaux de stress, d’anxiété, de dépression et d’autres troubles psychiques, mais aussi par des difficultés d’adaptation sociale, des ruptures dans les relations familiales et amicales, ainsi qu’une stigmatisation persistante (6,7). Ces effets peuvent être dramatiques et le taux de suicide des personnes détenues est largement supérieur à celui que l’on retrouve dans la population générale (8). En effet, de nombreux facteurs de risque tels que la surpopulation, l’isolement, la privation des liens sociaux, la violence, ou encore le harcèlement constituent un terreau propice à l’apparition de détresse émotionnelle et de troubles psychiques. 

Par ailleurs, l’incarcération pousse souvent les personnes détenues à développer des mécanismes d’adaptation spécifiques visant à se protéger dans un milieu perçu comme hostile, imprévisible et violent. Une de ces stratégies adaptatives est l’engourdissement émotionnel qui consiste à créer une distance entre soi et les autres (9). Ce mécanisme de protection consistant à dissimuler ses émotions derrière un masque s’avère donc adaptatif durant l’incarcération, mais il devient source de difficultés une fois la personne libérée (10).

Afin d’essayer de comprendre l’impact psychologique de la prison sur les personnes détenues, différentes approches ont été proposées (7). La plus récente suggère de tenir compte non seulement des caractéristiques individuelles des personnes détenues et de leurs expériences antérieures à la prison mais aussi des effets produits par les conditions de détention (7). Pourquoi est-ce important ? Car la plupart des personnes incarcérées ont déjà vécu des traumatismes avant leur arrivée en prison comme des violences ou des abus (11,12). Or, lorsqu’elles arrivent en prison, elles sont souvent exposées à de nouveaux traumatismes liés notamment à l’isolement social, la violence ou encore le harcèlement (11). Dans ce cas, ces expériences traumatiques s’additionnent et augmentent fortement le risque de développer des troubles psychiques, comme la dépression ou la psychose (11,12). Ainsi, pour des personnes venant déjà de milieux socialement et économiquement précarisés, les conditions de détention en prison risquent donc de les fragiliser encore plus.

Des recherches plus récentes se sont intéressées aux conséquences potentielles de l’incarcération sur le cerveau en faisant l’hypothèse que la prison n’affecterait pas seulement la santé mentale des détenus, mais pourrait également impacter leur fonctionnement cérébral et cognitif.  En effet, l’environnement carcéral est un environnement appauvrissant en ce sens qu’il se caractérise par la sédentarité en raison du temps passé en cellule, une réduction d’autonomie, un manque de challenges cognitifs, et l’exclusion sociale. Or, des études scientifiques ont démontré l’impact négatif de ces caractéristiques sur les fonctions cognitives dans d’autres domaines de recherche (13). Les études de neuroscience en prison sont encore rares aujourd’hui. Cela dit, deux récentes études suggèrent en effet un impact potentiel de la prison sur les capacités de contrôle de soi (self-control) c’est-à-dire la capacité à contrôler ses pensées, ses émotions et ses comportements (14). Dans l’une de ces études (15), réalisée aux Pays-Bas, les chercheur·euse.s ont demandé aux participants détenus de parier un certain nombre de points sur la position d’un jeton jaune dissimulé sous des carrés rouges et bleus. Au cours de l’expérience, le pari pouvait être plus ou moins risqué car la position du jeton était plus ou moins difficile à déterminer. Les chercheur·euse.s ont demandé aux participants de réaliser cette tâche de pari une première fois à leur arrivée en prison et une deuxième fois trois mois plus tard. Iels ont observé un déclin du contrôle de soi après trois mois d’incarcération : en effet, lors de la deuxième expérience, les participants détenus avaient tendance à miser plus de points même pour les paris risqués. Autrement dit, les chercheur·euse.s ont observé une réduction du contrôle de soi pouvant conduire à plus de prise de risque dans des décisions impliquant une récompense. Ceci pourrait conduire les détenus à surestimer la récompense potentielle tout en sous-estimant les conséquences négatives potentielles. Un exemple concret et un peu caricatural serait donc pour une personne de surestimer la récompense liée à un vol et de sous-estimer les conséquences négatives comme le risque d’être pris en flagrant délit. 

Ces résultats sont récents et isolés. De nouvelles recherches devront compléter ces résultats pour confirmer ou infirmer l’impact du milieu carcéral sur les fonctions cognitives. La question est importante car une altération des fonctions cognitives peut avoir des répercussions majeures sur les personnes incarcérées, et en particulier lors de leur réinsertion dans la société. Certes, la population carcérale constitue une population vulnérable, et il est possible qu’une partie des déficits cognitifs, telle qu’une impulsivité accrue, soit déjà présente avant l’incarcération. Toutefois, les recherches récentes en neurosciences suggèrent que l’environnement carcéral comporte de nombreux facteurs de risque, susceptibles d’avoir un impact réel sur le fonctionnement cognitif et d’entraîner une dégradation potentielle des capacités cognitives. A leur sortie de prison, les personnes anciennement détenues sont confrontées à de nombreuses difficultés et challenges. Or, si leurs capacités cognitives ont été mises à mal par l’incarcération, on leur fait alors porter un poids supplémentaire lors de leur réinsertion.

La prison impose de nombreuses injonctions paradoxales, notamment celle de demander aux détenu·es de reprendre le contrôle de leur vie lors de leur libération, tout en les excluant de la société et en les privant d’autonomie durant leur incarcération. Les résultats des différentes recherches en psychologie, en criminologie, et plus récemment en neurosciences cognitives soulèvent des questions cruciales quant à la capacité du système pénitentiaire à soutenir la réinsertion des personnes détenues. Nous avons vu que de nombreuses études ont montré que la prison affecte le bien-être psychosocial et émotionnel des détenus (7,9,16). Des résultats récents en neurosciences cognitives s’inscrivent dans cette lignée. Loin des représentations stéréotypées présentées dans les films et les séries, ces recherches nous invitent à nous interroger sur notre système pénal en général mais aussi, peut-être, à ouvrir la voie à la construction d’un système plus humain, favorisant l’autonomie, l’inclusion et la restauration des liens, plutôt que l’isolement, l’exclusion sociale et la déresponsabilisation.

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs réalisée par Elodie Kox, ancienne avocate en droit de la propriété intellectuelle et actuellement doctorante en psychologie cognitive à l’Université de Gand, relue par l’équipe et contée par Inès Mentec.

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REFERENCES

1. Mine, B. & Robert, I (2015). La récidive après une décision judiciaire. Des chiffres nationaux sur la base du Casier judiciaire central [Internet]. INCC. 2015. Available from: https://incc.fgov.be/la-recidive-apres-une-decision-judiciaire-des-chiffres-nationaux-sur-la-base-du-casier-judiciaire

2. Belga (2025). Surpopulation carcérale : plus de 500 détenus dorment sur un matelas à terre dans les prisons belges, un record. Available from: https://www.rtbf.be/article/surpopulation-carcerale-pres-de-500-detenus-dorment-sur-un-matelas-a-terre-dans-les-prisons-belges-un-record-11626341

3. Evrard, L. Surpopulation carcérale : un dernier arrêt qui clôt une série de condamnations cinglantes et un appel inédit au gouvernement pour lequel nous comptons sur votre soutien ! Available from: https://latribune.avocats.be/fr/surpopulation-carcerale-un-dernier-arret-qui-clot-une-serie-de-condamnations-cinglantes-et-un-appel

4. Observatoire international des prisons (2017). Notice 2016. Pour le droit à la dignité des personnes détenues. Retrieved from http://oipbelgique.be/fr/wp-content/uploads/2017/01/Notice-2016.pdf

5. Aebi, M. F. & Cocco, E. (2024). SPACE I – 2023 – Council of Europe Annual Penal Statistics: Prison populations. Council of Europe. Available from: https://wp.unil.ch/space/files/2024/06/SPACE_I_2023_Report.pdf

6. Umbach, R., Raine, A., & Leonard, N. R. (2018). Cognitive Decline as a Result of Incarceration and the Effects of a CBT/MT Intervention: A Cluster-Randomized Controlled Trial. Criminal justice and behavior, 45(1), 31–55. https://doi.org/10.1177/0093854817736345

7. Lanciano, T., de Leonardis, L., & Curci, A. (2022). The Psychological Effects of Imprisonment: The Role of Cognitive, Psychopathic and Affective Traits. Europe’s journal of psychology, 18(3), 262–278. https://doi.org/10.5964/ejop.3995

8. Favril, L., Vander Laenen, F., Vandeviver, C., & Audenaert, K. (2017). Suicidal ideation while incarcerated: Prevalence and correlates in a large sample of male prisoners in Flanders, Belgium. International journal of law and psychiatry, 55, 19–28. https://doi.org/10.1016/j.ijlp.2017.10.005  

9. Liem, M., & Kunst, M. (2013). Is there a recognizable post-incarceration syndrome among released « lifers »?. International journal of law and psychiatry, 36(3-4), 333–337. https://doi.org/10.1016/j.ijlp.2013.04.012  

10. Haney C. (2012). The Psychological Effects of Imprisonment, in Petersilia J., and Reitz K. (eds), The Oxford Handbook of Sentencing and Corrections, Oxford Handbooks (2012; online edn, Oxford Academic, 18 Sept. 2012), https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199730148.013.0024, accessed 13 Nov. 2025. An adapted version is publicly available here: https://www.urban.org/sites/default/files/publication/60676/410624-The-Psychological-Impact-of-Incarceration.PDF

11. Armour, C., 2012. Mental health in prison: a trauma perspective on importation and deprivation. Int. J. Criminol. Socio. Theor. 5 (2)

12. Mazher, S., & Arai, T. (2025). Behind bars: A trauma-informed examination of mental health through importation and deprivation models in prisons. European Journal of Trauma & Dissociation, 9(1), Article 100516. https://doi.org/10.1016/j.ejtd.2025.100516

13. Meijers, J., Harte, J. M., & Scherder, E. J. A. (2023). Prison and the brain. Handbook of clinical neurology, 197, 55–63. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-821375-9.00012-8

14.Maquestiaux, F., & Superieur, D. B. (2017). Psychologie de l’attention (2e éd.). (S.l.) : De Boeck Supérieur.

15. Meijers, J., Harte, J. M., Meynen, G., Cuijpers, P., & Scherder, E. J. A. (2018). Reduced Self-Control after 3 Months of Imprisonment; A Pilot Study. Frontiers in psychology, 9, 69. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2018.00069 

16. Edgemon, T. G., & Clay-Warner, J. (2018). Inmate Mental Health and the Pains of Imprisonment. Society and Mental Health, 9(1), 33-50. https://doi.org/10.1177/2156869318785424