
Cet épisode a été écrit par Guillaume Pech et Inès Mentec, doctorant.es en psychologie cognitive à l’Université libre de Bruxelles et vous est conté par Inès Mentec.
– Et toi tu fais quoi dans la vie ?
– Je suis chercheuse en psychologie cognitive.
– Ah, tu devrais étudier mon cerveau, je suis sûr.e que tu y trouverais quelque chose d’intéressant !
– Euh j’ai plus l’habitude de faire passer des expériences à des groupes de participant.es volontaires.
– Ah, tu manipules les gens comme des rats de laboratoire c’est ça ?
Voilà, ça c’est ce à quoi j’ai le droit quand je parle de recherche en psychologie. Et c’est normal. La psychologie étudie l’esprit et le comportement humain. Ça et les représentations de vilains scientifiques comme le docteur Frankenstein, facile de s’imaginer les pires scénarios. Et des dérives, il y en a eu ! Par exemple, dans les expériences de Stanley Milgram, des participant.es ont été incité.es à infliger des chocs électriques qu’ils pensaient potentiellement mortels à d’autres sous l’autorité d’un expérimentateur, sans savoir le vrai but de l’étude, ce qui a causé une grande détresse chez certain.e.s (1, 2, 3). Heureusement, les choses ont bien évolué, les psychologues n’en font plus qu’à leur tête ! Nous faisons en sorte d’agir de façon moralement responsable. Le questionnement éthique est donc au centre de notre pratique.
Donc pour chacun de mes projets de recherche, avant même de faire passer mon expérience à des participant.es ou de leur faire remplir un questionnaire, je dois prendre un temps de réflexion et me poser quelques questions. Est-ce que mon étude peut représenter un risque pour les participant.es ? Comment puis-je minimiser ce risque ? Est-ce que cette étude va être utile pour la recherche ? Est-ce que l’inconfort de ce que je demande à mes participant.e.s est justifié au vu de l’objectif de ma recherche ? Ces questions font partie de ce qu’on appelle le questionnement éthique. Celui-ci est primordial car je ne suis pas la seule actrice impliquée dans ma recherche. Et dès lors que plusieurs personnes collaborent sur un projet il est important de s’interroger sur les intérêts de chacun.e.s (ce n’est pas quelque chose de propre à la psycho).
Il est tout à fait possible que mes intérêts (faire avancer ma thèse, contribuer à la science ou être reconnue par mes pairs) s’alignent avec ceux de mes participant.es (participer à l’avancée de la science). Mais il peut aussi arriver que cela ne soit pas le cas.
Imaginons. Je souhaite étudier l’effet d’une émotion négative sur la confiance dans des prises de décisions. Pour produire une émotion négative, deux solutions s’offrent à moi. La solution A consisterait à infliger des chocs électriques, sans danger mais douloureux. Là, pas de doute, les participant.es ressentiraient une émotion négative pendant mon expérience. La solution B serait quant à elle de trouver des images évoquant des situations tristes, anxiogènes ou injustes et de les présenter à mes participant.es pendant l’expérience. L’émotion induite serait sûrement moins intense et la recherche des images me demanderait beaucoup plus de travail que l’utilisation de chocs électriques. J’ai donc le choix entre deux expériences pour répondre à ma question de recherche. Dans cet exemple, j’aurais intérêt à choisir l’expérience A tandis que les participants préfèreraient probablement l’expérience B. Nos intérêts sont en conflit, ils divergent.
Mais après tout, pourquoi prendre le temps de mener ce questionnement? Évaluer les intérêts de chacun.e peut en effet paraître long et rébarbatif à première vue quand on a envie d’avancer dans sa recherche. Qu’est-ce qui m’empêche de mener mes études comme je l’entends ? Et bien tout d’abord, comme tout individu, je suis contrainte par un cadre légal. Chaque étude vient donc, à minima, s’inscrire dans ce que la loi de mon pays permet. L’éthique est une réflexion supplémentaire, visant à déterminer s’il est moral de mener une expérience. Il s’agit une fois encore de se poser la question : est-ce que l’étude que je souhaite mener est légitime ?
La réflexion éthique est aidée par des codes de conduite, notamment le code de Nuremberg et la Déclaration d’Helsinki. Le code de Nuremberg de 1947 est un ensemble de dix critères qui ont été utilisés par le tribunal de Nuremberg pour juger du caractère licite ou illicite des expérimentations réalisées sur des êtres humains par les médecins nazis (4). Ce n’est pas l’objet de ce podcast mais sachez que les rats de laboratoire sont eux aussi protégés par des codes éthiques encadrant l’expérimentation sur les animaux non humains. On vous met des références dans les shownotes de cet épisode (5).
La déclaration d’Helsinki découle de ce premier code et est aujourd’hui suivie par de nombreux pays . Promulgué pour la première fois en 1964, le texte est régulièrement mis à jour et sa dernière version date de 2013. Ce document a été écrit par la plus haute instance internationale médicale en matière d’éthique, l’Association Médicale Mondiale. Il précise que les intérêts de la science et de la société ne doivent jamais prévaloir sur le bien-être du/de la participant.e. De plus, la Déclaration d’Helsinki rappelle qu’une étude doit être soumise à un comité indépendant de chercheureuses pour juger de sa conformité aux règles éthiques avant toute expérimentation (6). Ce principe d’évaluation éthique est aujourd’hui central dans tout projet de recherches scientifiques. Je ne peux donc pas décider de faire une expérience toute seule dans mon coin.
La déclaration d’Helsinki souligne également la responsabilité des éditeurices (7). Aujourd’hui, la quasi-totalité des revues scientifiques n’autorisent pas la publication sans l’accord d’un comité d’éthique indépendant. Et comme les chercheureuses souhaitent souvent publier leurs articles et non garder leur recherche au chaud dans un tiroir, c’est une bonne incitation à adopter une démarche éthique.
Pour nous aider à mener cette démarche éthique, les universités désignent donc des comités d’éthique indépendants. Ceux-ci sont composés notamment de chercheurs et chercheuses qui ne sont pas impliqué.es dans les projets de recherche évalués. Avant de lancer une étude, je dois la soumettre à ce comité. Celui-ci apporte un regard extérieur sur le projet en étant le moins possible influencé par des intérêts personnels. Au besoin, le comité me suggère des modifications du projet en suivant les principes éthiques. C’est seulement une fois l’accord du comité obtenu que je commence ma collecte de données. Comme on l’a vu, si je veux publier mes résultats dans une revue scientifique, cette étape est obligatoire.
Concrètement, lors de l’évaluation éthique d’une étude, le comité d’éthique examine trois éléments clés : 1) la protection des données personnelles : le projet doit notamment respecter le Règlement général sur la protection des données (vous avez sûrement déjà entendu parler de RGPD) établi par l’Union Européenne. 2) le rapport coût-bénéfice : on en a déjà parlé au début de l’épisode. Je ne peux faire une étude que si les bénéfices anticipés pour la population étudiée sont supérieurs aux coûts (monétaire mais aussi émotionnels, et concernant la santé des participant.es). Et 3) le consentement éclairé. Les volontaires doivent connaître à l’avance la nature de l’expérience et doivent pouvoir décider librement de leur participation (8). C’est ce que veut dire le mot “éclairé”. On emploi aussi le mot “informé” qui est plus explicite.
La décision de participer doit aussi être libre. Ici « libre » signifie principalement qu’aucune pression ou incitation ne doit être exercée sur l’individu. C’est notamment pour cela que les compensations monétaires ne sont jamais exorbitantes lors d’une participation à une étude. Ce sont des compensations et non des rémunérations. On ne “paye” pas les participant·es.
Le consentement doit aussi être “continu”. Cela implique qu’à tout moment de l’étude, les participant.es ne souhaitant plus continuer doivent pouvoir abandonner l’étude sans craindre de quelconque représailles.
Et si une personne n’est pas capable de fournir un consentement éclairé comme c’est le cas d’enfants ou de personnes atteintes de certains troubles mentaux, il est nécessaire d’obtenir le consentement des responsables légaux tout en cherchant également à obtenir celui de la personne concernée. Par exemple, si un bébé commence à pleurer, ou s’endort pendant l’expérience, on suppose qu’il a retiré son consentement et on arrête.
Une fois tout ça mis en place je peux enfin collecter mes données. L’éthique fait partie intégrante de la réflexion scientifique. Celle-ci permet d’assurer aux mieux la conduite de nos recherches, afin que les participant.e.s et la société puissent en tirer les meilleurs bénéfices, en minimisant les contraintes. Nous avons évidemment toujours des progrès possibles dans cette volonté de bien faire. Donc à toutes les personnes me demandant si je manipule les gens comme des rats de laboratoire pour mes expériences : Non ! Prendre en compte les intérêts des mes participant.es fait partie de mon job.
Références
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram
- https://shs.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2011-4-page-397?lang=fr#s2n2
- https://philosophie.ac-normandie.fr/spip.php?article615
- https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-codenuremberg-tradamiel.pdf
- https://www.inserm.fr/modeles-animaux/reglementation-et-dispositif-ethique-experimentation-animale/
- https://shs.cairn.info/revue-laennec-2002-1-page-44?lang=fr
- https://www.wma.net/fr/policies-post/declaration-dhelsinki-de-lamm-principes-ethiques-applicables-a-la-recherche-medicale-impliquant-des-etres-humains/
- https://www.edpb.europa.eu/sites/default/files/files/file1/edpb_guidelines_202005_consent_fr.pdf
Pour une vue d’ensemble de la pratique éthique en recherche :
A.https://monpsy.ulb.be/doc/ethique/Considerations_ethiques_KLEIN_Olivier.pdf
B. https://www.frs-fnrs.be/docs/Reglement-et-documents/FRS-FNRS_ETHIQUE_ETHICS.pdf
Expérimentation non humaine :
C. www.youtube.com/watch?v=trVyQ-GmiPs
D. https://www.fondation-droit-animal.org/informations-juridiques/animaux-utilises-a-des-fins-scientifiques/