« Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique ».
Si mille grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?
Et si, pour introduire l’épisode d’aujourd’hui, je vous posais quelques questions ? En fait, je vous en ai déjà posé une, alors je me permets de continuer :
Pourquoi est-ce que nous avons honte de dire que nous sommes fans de Céline Dion, des pizzas hawaïennes ou des compétitions de pétanque ? Parce que ce n’est pas conventionnel ou valorisé par la société peut-être ? Au contraire, pourquoi cela semble très valorisé d’aimer le foot, d’adorer les chats ou les chiens et d’être accros au chocolat ?
La question devient donc : pourquoi certaines choses sont considérées normales alors que d’autres non ? Quel est le principe de cette normalité et des normes sociales ? D’où est-ce qu’elles viennent ? À quoi servent-elles ? Pourquoi nous sentons nous (au moins un peu) contraintes et contraints d’y correspondre ?
Les normes sociales, qu’est-ce que c’est ?
On peut définir les normes sociales comme suit : « une norme traduit l’impact du social sur les comportements et les jugements individuels » (Dubois, 2003). En effet, les normes sociales sont des règles ou des normes de comportement produites par le groupe qui servent souvent de guide pour les actions des individus au quotidien. Elles vont également fournir des prévisions sur la façon dont les autres vont agir et favorisent ainsi une meilleure coordination dans la vie sociale (Neville et al., 2021). Les normes sociales vont donc se manifester à travers nos habitudes du quotidien, à travers des valeurs ou encore des croyances partagées.
Pour mieux comprendre les normes, il est donc important de s’intéresser aux distinctions que l’on peut faire au sein de celles-ci. D’abord, nous pouvons faire la différence entre les normes injonctives et les normes descriptives. Les normes injonctives renvoient aux croyances des gens sur ce qui devrait être fait (Knight Lapinski & Rimal, 2005). Il s’agira alors de croyances sur les “bonnes” façons de se conduire, de se comporter et de faire les choses pour être conformes à ce qui est attendu au sein d’une société et/ou d’un groupe donné. Les normes descriptives, quant à elles, font référence aux croyances sur ce qui est réellement fait par la plupart des autres membres du groupe social (Knight Lapinski & Rimal, 2005). Il s’agira donc de croyance créant des normes à partir de la prévalence d’attitudes ou de comportements. Dans l’idée, plus quelque chose est pensé ou effectué, plus cela semblera constituer une norme. Les normes sociales traduiront alors soit un idéal concernant ce que l’on pense qui doit être fait (ce qui est approuvé ou non socialement) ; ou des croyances par rapport à ce que font les autres. Notons cependant que dans certaines situations, il est possible que les normes descriptives et injonctives entrent en contradiction. Si l’on prend l’exemple du changement climatique et la tendance générale à l’inaction, nous constatons ceci : la norme descriptive (ce que l’on observe réellement) est l’absence de changement significatifs dans les modes de vie individuels et collectifs, alors que pour beaucoup, la norme injonctive (ce qu’il faudrait faire) est qu’il faudrait changer radicalement nos modes de vie ! Et pourtant…
Dans les normes sociales, on pourra aussi différencier les normes de comportements et les normes de jugement. Les normes sociales vont donc autant nous indiquer les comportements et conduites à adopter en fonction des circonstances dans lesquelles nous sommes ; mais aussi les jugements, attitudes, opinions et croyances qui sont préférables à avoir en fonction des contextes et dans différentes situations de la vie sociale (Louche, 2019). Concrètement, si je me retrouve dans un contexte où je suis avec des personnes en situation de handicap, je sais que mon comportement doit être un comportement d’aide si la personne me le demande, et je sais aussi que je ne dois pas juger cette personne pour la situation dans laquelle elle se trouve.
À quoi servent les normes sociales ? Comment les intégrons-nous ?
Globalement, les normes sociales permettent aux êtres humains de coexister de manière harmonieuse au sein d’une même société. En effet, elles vont guider les comportements dans des situations ambiguës, faciliter les interactions entre les membres des groupes, par exemple grâce aux normes de réciprocité, aux règles de bonnes manières, etc. Elles vont également permettre de protéger des valeurs ou des notions favorables à une vie en communauté (comme la norme de porter des vêtements en public, la norme de ne pas jeter ses déchets par terre, les normes en termes d’hygiène corporelle), etc. (Brauer & Chaurand, 2010). Les normes sociales seraient donc un phénomène d’adaptation permettant de réguler et de rendre harmonieuse la vie sociale.
Les normes sociales vont être transmises à travers la socialisation (grâce à nos parents, nos enseignantes et enseignants, nos pairs, etc.), les incitations de dirigeantes et dirigeants (comme les politiciens et les politiciennes, des figures religieuses, etc.), mais aussi l’apprentissage par observation ou encore le contrôle social (Brauer & Chaurand, 2010, Sherif, 1936 ; Yzerbyt & Klein, 2019). Les normes sociales sont donc perpétuées de diverses manières. Pour les premiers cas cités, la socialisation et les incitations des institutions dirigeantes, elles seront transmises dans les interactions avec des figures d’autorités (les parents, les professeur.es, les dirigeant.es, etc.) de façon explicite avec des indications, ou de façon implicite. Ensuite, l’observation d’une personne qui effectue un comportement pourra nous inciter à refaire ce comportement et donc le diffuser à d’autres personnes. Il s’agira de l’apprentissage par observation. Enfin, les normes sociales peuvent émerger suite à une réaction de désapprobation : exprimer une telle réaction à l’égard de quelqu’un qui transgresse une norme sociale pourra générer une « pression à la conformité » ou une « sanction sociale négative », nous indiquant quelle est la « bonne » marche à suivre pour respecter les normes.
Les normes pourront évidemment varier en fonction des groupes auxquels on appartient, des cultures et des générations ! Par exemple, les normes concernant le mariage sont très différentes pour les générations d’aujourd’hui que pour nos parents ou grands-parents qui se mariaient jeunes et souvent pour des raisons économiques. De la même manière, la forme, les codes ou le sens attribué au mariage sera différent selon que l’on vienne de Pologne, de Colombie ou du Japon, ou que l’on vienne d’un milieu bourgeois ou populaire.
Quelles conséquences ont les normes sociales ?
Ainsi, la norme sociale peut être perçue comme une des nombreuses influences du social sur nos comportements et nos jugements individuels. Le simple fait de connaître ces normes va donc autant orienter nos comportements que nos attitudes (soit ce que l’on fait et ce que l’on pense).
Un exemple amusant de l’influence des normes sociales est ce qu’on nomme « l’ignorance pluraliste » autrement appelée ignorance plurielle (Prentice & Miller, 1996). « Qu’est-ce c’est que ce concept-là ? » me direz-vous. Il s’agit d’une erreur que chaque individu est susceptible de commettre en jugeant les positionnements de la pluralité, du groupe, par rapport à une norme sociale. L’idée est la suivante : une personne n’approuvant pas la norme du groupe va tout de même se comporter comme les autres membres parce qu’elle pense que les autres adhèrent à cette norme (parce que leurs comportements en faveur de cette norme reflèteraient l’approbation unanime du groupe par rapport à celle-ci). Parce que les individus pensent être seuls à avoir un avis déviant, ils préfèrent agir comme la majorité, parce qu’ils pensent que tout le monde approuve cette norme sauf eux. Ainsi, vous pouvez boire de l’alcool en quantité lors d’une soirée, pensant que les autres boivent car ils approuvent cette norme. Pourtant, il est possible qu’eux aussi, ne préfèrent pas boire, mais que chacun consomme de l’alcool en pensant que c’est ce qui est attendu et consensuel ! En agissant tous et toutes de cette manière, nous prenons le risque de perpétuer des normes qui ne conviennent en réalité pas à de nombreuses personnes. Pour que cet effet se produise, il suffit que la norme soit assez puissante pour inciter les gens à agir d’une manière qui ne correspond pas à leurs positionnements personnels.
Un autre exemple pertinent et typique de l’influence des normes sociales sur les individus est ce que l’on appelle le “conformisme”. Se conformer sera alors “adopter un comportement en accord avec la norme admise”. Nous mettrons en place des comportements de sorte à ne pas dévier de ces normes sociales qui nous indiquent ce qui est attendu de nous dans la société dans laquelle nous nous inscrivons.
Ce phénomène sera visible dans nos démarches de consommation, en matière de goûts musicaux ou de mode par exemple. En fonction des groupes auxquels nous appartenons, la norme sera d’aimer plutôt tel ou tel type de musique, d’avoir tel ou tel style vestimentaire, etc. On imaginerait plus difficilement, au premier abord, un jeune de la haute bourgeoisie catholique traditionaliste écouter du reggae ou du punk anarcho communiste. Après, tout est possible… mais globalement les normes sociales vous nous guider et nous aurons donc tendance à adopter les codes qui sont normaux dans nos groupes de référence, pour éviter le conflit et préserver l’approbation du groupe, pour se faire accepter, parce qu’on a intériorisé ces normes, etc.
Attention cependant, ces normes sociales peuvent avoir des effets négatifs, mais sont aussi bénéfiques voire essentielles pour les individus et les groupes. Dans beaucoup de situations, les normes sociales pourront être un guide essentiel, pour savoir comment penser ou agir de manière appropriée dans la société, afin de favoriser une meilleure harmonie dans la vie sociale !
Alors maintenant, peut-être que vous comprenez mieux pourquoi vous vous sentez si seul.e ou déviant, déviante, à l’idée d’adorer le travail de Jul ou Johnny Hallyday, d’aimer danser dans la rue ou de détester l’alcool.
Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, réalisée et conté par Sarah Leveaux, doctorante de l’Université Lumière Lyon 2 ; avec les relectures de Kenzo Nera, Julia Eberlen et Pascaline Van Oost. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants !
Brauer, M. & Chaurand, N. (2010). Descriptive norms, prescriptive norms, and social control: An intercultural comparison of people’s reactions to uncivil behaviors. European Journal of Social Psychology, 40(1), 490-499. https://10.1002/ejsp.640
Dubois, N. (2003). A Sociocognitive Approach to Social Norms. Routledge Research International Series in Social Psychology.
Knight Lapinski, M. & Rimal, R. N. (2005). An Explication of Social Norms. Communication Theory, 15(2), 127–147. https://doi.org/10.1111/j.1468-2885.2005.tb00329.x
Louche, C. (2019). Normes de jugement et évaluation du personnel. In Louche C. (Ed), Psychologie sociale des organisations (pp. 195-206). Dunod.
Neville, F. G., Templeton, A., Smith, J. R., & Louis, W. R. (2021). Social norms, social identities and the COVID-19 pandemic: theory and recommendations. https://doi.org/10.1111/spc3.12596
Prentice, D. A. & Miller, D. T. (1996). Pluralistic ignorance and the perpetuation of social norms by unwitting actors. Advances in Experimental Social Psychology, 28(1), 161-209.
Sherif, M. (1936). The Psychology of Social Norms. Harper & Brothers Publishers.
Yzerbyt, V. & Klein, O. (2019). Psychologie sociale. De Boeck Supérieur.