Les « faux souvenirs » ou quand la mémoire nous joue des tours

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L’épisode d’aujourd’hui s’intéresse à un phénomène particulier, mais plus fréquent qu’on ne le croit : les faux souvenirs. Nous allons voir aujourd’hui comment les différentes étapes de la mémorisation peuvent donner lieu à ces drôles de « bug » qu’on appelle « faux souvenirs ».

Cet épisode réalisé par Canelle Garnier, vous est aujourd’hui conté par Sarah Leveaux.

Les différents types de faux souvenirs

Les faux souvenirs ont fait l’objet d’un intérêt particulier à partir des années 1970 (septante) dans le domaine juridique, quand il est apparu qu’il était malheureusement très facile de modifier la mémoire de témoins avec l’utilisation de suggestions implicites (c’est-à-dire des formules de phrases dont le fond ou la forme induisent la réponse attendue : « Tu étais bien avec lui cette nuit-là, non ? »), et ce d’autant plus si le témoin est un enfant. On retrouve alors des témoignages d’enfants ou d’adultes erronés, non pas parce qu’ils ou elles ont menti, mais parce qu’on a induit ce qui était attendu dans les questions posées aux témoins et aux victimes.

Un autre type de faux souvenir peut être l’implantation totale en mémoire d’un événement qui n’est jamais arrivé. De nombreuses recherches ont montré qu’il était possible de créer de toute pièce le souvenir d’un événement chez un individu, à l’aide de photomontages et d’un récit familial. Cela a été fait avec le souvenir d’un vol en montgolfière durant l’enfance (qui n’avait en fait jamais eu lieu). Plus fort encore, les individus en question ne se contentaient pas d’accepter le souvenir, ils allaient même jusqu’à ajouter des détails au récit, dont ils pensaient se souvenir.

Enfin, il existe également des petits faux souvenirs plus anodins, des simples variations de détails qui font qu’on se dispute avec l’ami qui partage notre souvenir parce que : si si, on est persuadé qu’on avait ce cartable ridicule le jour de la rentrée à 12 ans et que notre ami se souvient très bien que : non, on avait déjà ce sac à dos noir avant.  Ça, c’est tout simplement parce qu’on reconstruit le souvenir chaque fois qu’on s’en rappelle, et qu’à force, plus le temps passe, plus la reconstruction est parasitée, mais aussi modifiée, voire complètement embellie parfois !

Alors comme ça, la mémoire n’est pas infaillible ?

Le mécanisme de la mémorisation se découpe en trois étapes : l’encodage qui correspond à l’enregistrement en mémoire des informations perçues, le stockage qui permet de graver ces informations en mémoire, et la récupération qui permet de mobiliser à nouveau les informations stockées, pour faire « revivre » le souvenir.  Si notre mémoire était comme un disque dur, il nous suffirait donc de lire les données stockées dessus et le souvenir serait récupéré, tel quel, sans la moindre modification. Mais, notre mémoire stocke les souvenirs à travers un mécanisme bien plus complexe et malléable !

Par exemple, pour stocker le souvenir de votre dîner romantique de la veille, votre mémoire va créer tout un tas de connexions dans votre cerveau. Chaque connexion formée correspond à un des éléments du souvenir : grossièrement, il y a une connexion pour le goût du gratin, une connexion pour la couleur des yeux de votre partenaire, une connexion pour ce baiser en fin de soirée, etc. Ces connexions sont elles-mêmes reliées, vous indiquant que tous ces éléments font partie du même souvenir. Et quand, trois semaines plus tard, vous sollicitez votre mémoire pour « revivre » ce souvenir, vous démarrez en sollicitant la première connexion, qui est en général le contexte spatio-temporel. Admettons que c’était chez vous, la première semaine de janvier. De là, les autres connexions s’activent, vous revivez les sensations, les émotions, vous revoyez la couleur des yeux de votre ami.e… SAUF QUE, misère, ce n’est pas le goût d’un gratin qui vous revient, mais celui d’une délicieuse quiche lorraine. Puis, vous ne vous rendez pas compte de l’erreur, vous êtes persuadé.e d’avoir dégusté une quiche lors de ce dîner et vous modifiez votre souvenir pour le transformer… en faux souvenir.

Les mécanismes des faux souvenirs

Alors comment se fait-il que la connexion « gratin » ait été remplacée par une connexion « quiche lorraine » au moment où vous récupériez ce souvenir ? Les chercheurs et chercheuses en psychologie cognitive ont mené de nombreuses études à ce sujet, donnant lieu à plusieurs théories. Pour résumer, on peut trouver des mécanismes entraînant l’apparition de faux souvenirs aux trois étapes de la mémorisation (les trois étapes évoquées juste avant). Tout d’abord à l’encodage, la distinctivité des éléments mémorisés va les rendre plus ou moins faciles à retrouver avec exactitude. La distinctivité c’est ce qui va, en quelques sortes, faire « sortir du lot » l’information que vous encodez. Par exemple, quand vous fermez la porte à clef en partant de chez vous comme tous les matins, c’est une information peu distinctive et vous serez plus à même de faire un faux souvenir à propos de cet événement qu’à propos de la fois où vous avez pris l’avion pour la première fois.

Ensuite, lors du stockage, nous l’avons vu, des connexions se forment et s’interconnectent entre elles. Mais le cerveau adore faire des liens à tout va pour enrichir toutes les connexions. Donc quand vous stockez votre dîner en amoureux, il va aussi faire des liens avec les souvenirs similaires : les autres repas que vous avez fait, les autres moments en amoureux ou en amoureuses que vous avez passé, etc. C’est ce qu’on appelle la propagation d’activation. Cela ne donne heureusement pas toujours lieu à des faux souvenirs. La plupart du temps, nous sommes capables d’écarter ces activations de souvenirs voisins, de ne pas les confondre avec le souvenir qui nous intéresse… mais on ne sait jamais.

Puis survient le troisième mécanisme des faux souvenirs, il s’agit du déficit de contrôle de source lors de la récupération (un peu barbare hein ?). Le contrôle de source vous permet normalement de distinguer les informations externes (que vous avez entendues, vues, dites), des informations internes (que vous avez pensées, rêvées). Si on revient à notre dîner, admettons qu’au moment de stocker le goût du gratin, votre cerveau ait activé par propagation en interne le goût de la quiche (soit le fait de penser à la quiche). Puis qu’au moment de récupérer le souvenirs le contrôle de source attribue par erreur une source externe à cette connexion « quiche », ce qui veut dire qu’il vous dira que vous avez mangé cette quiche alors qu’en fait vous y aviez seulement pensé. Vous vous retrouvez alors persuadé d’avoir réellement mangé une quiche ce soir-là.

Grâce à cet épisode, peut-être que vous considérerez les choses différemment la prochaine fois que vous vous rappellerez d’un souvenir d’enfance, ou que vous aurez un conflit avec votre grand frère sur les vacances au bord de la mer quand vous étiez enfants, était-ce en Normandie ou en Bretagne déjà ?

Et si nous finissions avec un petit bonus amusant ? Allez ! Est-ce que vous saviez que nous pouvons aussi faire des faux souvenirs par inférence, en nous basant sur les connaissances générales que nous avons sur le monde ? Non ? Et bien c’est ce que deux chercheurs ont montré en 1997 en faisant mémoriser des phrases à des participants et participantes. Pour la phrase « la rock star était contrariée par la quantité d’alcool servie à la soirée », les personnes interrogées se souvenaient avoir entendu que la rockstar était déçue qu’il n’y ait pas assez d’alcool à la soirée (alors que la phrase ne stipule pas cela). A l’inverse, quand on remplaçait la rockstar par une nonne dans la phrase, les participants et participantes étaient persuadé.es que la phrase apprise était « la nonne était contrariée par l’excès d’alcool servi à la soirée ».  Fun non ? Surtout si on réalise qu’en fait… tout ça, c’est notre quotidien et ça nous arrive en permanence.

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, réalisée par Canelle Garnierdoctorante de l’Université de Nantes. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes fascinants !

Références

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