« Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique ».
Si mille grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?
Cet épisode a été écrit et vous est conté par Sarah Leveaux.
Une personne vous appelle alors que vous pensiez justement à elle ou que vous avez rêvé d’elle quelques jours plus tôt. Vous gagnez à un jeu alors que la partie n’évoluait pas du tout en votre faveur. Vous rencontrez lors d’un voyage un·e ami·e d’enfance perdu·e de vu depuis longtemps.
Ces exemples relèvent de ce qu’on nommerait le « hasard ». Mais… Qu’est-ce que le hasard ? Comment est-ce que nous le percevons ? Sommes-nous capables de produire du hasard ? Et surtout : comment gérons-nous l’incertitude liée au hasard dans notre quotidien ?
La conceptualisation et la compréhension du hasard
Établir une définition formelle du hasard est très difficile car il ne s’agit pas d’un événement unique auquel nous puissions appliquer des caractéristiques claires et rigoureuses [1][2]. Malgré la littérature ancienne qui existe à propos du hasard, il reste un concept particulièrement difficile à appréhender et à maîtriser [2]. Depuis l’Antiquité, les penseurs grecs ont questionné ce concept et assez rapidement, il a été formalisé à travers les mathématiques, et l’étude des probabilités, qui permettent tout de même de mesurer le hasard [2][3]. Néanmoins, il est communément admis que le hasard est ce que l’on associe à des circonstances imprévisibles, imprévues et inexplicables qui ont des effets favorables ou défavorables.
Dans ce cas, on peut se demander : que nous apprend la psychologie de notre rapport au hasard ? Comment appréhendons-nous le hasard en tant qu’êtres humains ?
La perception et la production du hasard : une histoire de biais
La psychologie cognitive s’est beaucoup intéressée à la perception du hasard [2]. Le but était alors d’étudier les habiletés humaines à mener des raisonnements aléatoires, ou encore à produire et à reconnaître du hasard, par exemple en demandant aux participant·es de produire des suites aléatoires, à la manière d’un lancer de pièce à pile-ou-face. Les chercheur·euses ont constaté que les productions des participant.es, et des êtres humains en général, sont différentes des productions réellement aléatoires. Par exemple, sur une série de 10 lancers à pile-ou-face, auriez-vous tendance à éviter de mettre 4 ou 5 faces à la suite ? Oui ? Et pourtant, cela se produit certainement aussi souvent qu’une alternance exacte de pile/face/pile/face.
Dans ces études, le constat est que les individus ne sauraient ni produire ni percevoir correctement le hasard [4]. Mais… pourquoi ? Et bien, certains effets, biais cognitifs et croyances ont été mis en évidence pour expliquer notre rapport avec le hasard et l’aléatoire [3][4][5]. Les biais d’alternance et d’étalement expliquent cette incapacité.Ils correspondent à la tendance à percevoir et à attendre du hasard qu’il soit réparti régulièrement et de manière à être le plus espacé possible [6]. Ces biais s’expliquent par notre mauvaise application des connaissances de probabilités et de mathématiques. En général, nous savons que notre chance d’obtenir “pile” à un lancer est d’une chance sur deux, mais nous oublions que la pièce n’a pas de mémoire, et donc qu’au lancer suivant, il est de nouveau aussi probable d’obtenir “pile” que “face” C’est la loi des grands nombres qui nous enseigne cette règle. Cette probabilité est donc vraie pour un nombre infini de lancers, mais pour une petite suite d’événements, ce raisonnement est en fait inadapté ([4]Nickerson, 2002) !
Un autre biais central et important dans notre perception du hasard, est le biais rétrospectif (ou hindsight bias, [7]). Il s’agit de notre tendance à penser et surestimer après coup, que des événements qui se sont produits étaient prévisibles (à condition que l’on y ait regardé de plus près, que l’on ait été plus clairvoyant.es, etc.). Il s’agit du très célèbre : “Je le savais depuis le début !”. Quand des situations surviendront par hasard, nous aurons donc tendance à penser que nous savions que ces événements arriveraient (même si nous y étions en fait pas préparé·es du tout).
D’autres croyances et biais dans notre rapport au hasard ont également été mis en évidence grâce à l’étude des joueurs et joueuses pathologiques. Globalement, les croyances présentes chez ces profils d’individus mènent à nier la part de hasard qui est inhérente au jeu [8] . Ces croyances et distorsions cognitives reflètent une absence de prise en compte des principes statistiques et probabilistes fondamentaux aux jeux de hasard, menant à des comportements pathologiques dans le rapport au jeu. Ces personnes vont par exemple surévaluer leurs chances de gagner, avoir une illusion de contrôle dans et sur le jeu, etc. [5][8][9]. Effectivement, si l’on pense que l’on a du contrôle, ne fut-ce qu’un peu, sur l’issue du jeu, le gain semble plus probable qu’il ne l’est réellement.
Que croire face au hasard ?
Nous sommes quotidiennement confronté.es au « hasard » et bien que nous soyons capables de prédire quand des actions ou des événements sont avantageux, ces prédictions sont partielles et laissent beaucoup de place à l’incertitude. Cette indétermination est alors souvent source d’angoisses ou au contraire d’excitation [3][4]. Ne pas être capable de prévoir ce qui se produira dans notre journée de demain ou dans les semaines et mois à venir peut-être source de stimulation positive autant que d’appréhension ! Dans ces circonstances, comment gérons-nous l’incertitude liée au hasard dans notre quotidien ?
Ce sont donc nos croyances sur le hasard qui vont nous guider et nous (re)donner un sentiment de contrôle face à l’incertitude et l’instabilité qu’il suscite [10]. Aux extrêmes des perceptions, nous allons retrouver une perspective “déterministe” –où le hasard est associé à la notion de destin et à différentes croyances (a)religieuses–. L’idée est que chaque chose se produit pour une raison, à un moment opportun, et est source d’enseignement. Dans cette perspective, le biais rétrospectif (qui nous donne le sentiment que ce qui nous arrive était prévisible) permettra de justifier ce qui nous arrive et valide notre croyance en un monde juste qui nous offre des enseignements de vie. De l’autre côté, nous trouverons une perspective dite “contingente” où les événements sont perçus comme des chaînes de cooccurrences inattendues qui sont qualifiées de « hasard ». Cette approche s’appuie sur les bases théoriques acquises jusqu’ici grâce aux sciences. L’idée est que le hasard correspond soit aux limites de nos connaissances sur le monde, ou à des coïncidences réellement aléatoires.
Qu’il s’agisse de croyances déterministes ou contingentes, le rapport des individus au hasard semble se traduire à travers des croyances plus spirituelles ou des croyances basées sur des fondements scientifiques dont le but commun serait finalement la « compréhension et la maîtrise de l’univers quotidien » [11].
Globalement, le hasard est surtout pour l’humain une question d’interprétation. Quand il s’impose à nous, il nous surprend et semble inexplicable. Pourtant, la considération rétrospective de certaines situations suggère que les événements sont souvent plus probables que nous le pensons. Et vous que croyez-vous en termes de hasard ? Quelles sont les situations les plus insolites que vous ayez vécu ? N’hésitez pas à nous raconter en commentaire !
Nous vous remercions d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, réalisée par Sarah Leveaux, doctorante de l’Université Lumière Lyon 2 ; et relue par l’équipe. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants !
Références bibliographiques
[1] Ekeland, I. & Lécroart, E. (2016). Le hasard. Une approche mathématique. Le Lombard. Ceci est une excellente ressource vulgarisé sur les bases mathématiques du hasard!
[2] Gauvrit, N. (2009). Vous avez dit hasard ? Belin.
[3] Valin, A. (2013). Le hasard en sociologie : autour des pratiques quotidiennes des jeux d’aléa (thèse de doctorat, Université de Franche-Comté). Retrieved from: https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01319961/document
[4] Nickerson, R. S. (2002). The Production and Perception of Randomness. Psychological Review, 109(2), 330-357. https://doi.org/10.1037//0033-295X.109.2.330
[5] Lambos, C. & Delfabbro, P. (2007). Numerical reasoning ability and irrational beliefs in problem gambling. International gambling studies 7(2), 157–171. https://doi.org/10.1080/14459790701387428
[6] Falk, R. & Konold, C. (1997). Making Sense of Randomness: Implicit Encoding as a Basis for Judgment. Psychological Review, 104(2), 301-318. https://doi.org/10.1037/0033-295X.104.2.301
[7] Dehn, D. M., & Erdfelder, E. (1998). What kind of bias is hindsight bias? Psychological Research, 61(2), 135-146. https://doi.org/10.1007/s004260050020
[8] Barrault, S. & Varescon, I. (2012). Distorsions cognitives et pratique de jeu de hasard et d’argent : état de la question. Psychologie française, 57(1), 17-29. https://doi.org/10.1016/j.psfr.2012.01.002
[9] Whol, M. & Enzle, M. E. (2002). The Deployment of Personal Luck: Sympathetic Magic and Illusory Control in Games of Pure Chance. Personality and Social Psychology, 28(10), 1388-1397. https://doi.org/10.1177/014616702236870
[10] Leveaux, S., Leroy, T., & Préau, M. (sous presse). « Je ne crois pas au hasard ! ». Du déterminisme du destin aux approches contingentes scientifiques : les représentations sociales du hasard pour expliquer l’appréhension de l’incertitude. Science & Bonheur.
[11] Jodelet, D. (2002). Perspective d’étude sur le rapport croyances/représentations sociales. Psychologie & société, 5(1), 157-178.