« Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui vous parle de psychologie scientifique et démystifie la vie psychique ».
Si mille grammes ne rentre pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?
Avant de débuter cet épisode, une petite parenthèse :
[Nous allons aujourd’hui parler du genre et du sexe de manière binaire (c’est-à-dire en termes de « garçon/fille »), puisque nous nous intéressons aux stéréotypes et représentations présentes dans la société, et que cette conception binaire est très ancrée dans notre quotidien. En outre, c’est cette conception qui a majoritairement été employée pour étudier le genre jusqu’ici dans les milieux scientifiques. Nous avons conscience que cela ne représente évidemment pas la réalité de beaucoup de personnes qui ne se retrouvent pas dans ces catégories femme-homme ou qui ne peuvent pas être biologiquement classés homme ou femme. Cet épisode ne sera donc pas parfaitement inclusif et nous en sommes désolé.es.]
Pourquoi les filles préfèrent-elles le rose et les garçons le bleu ? Pourquoi les filles sont-elles “sages” et “sensibles” quand les garçons sont “forts” et “turbulents” ? Ces différences sont-elles le résultat de différences biologiques, présentes dès la naissance ou sont-elles acquises au cours de notre vie ?
Dès leur plus jeune âge, les filles et les garçons grandissent avec des idées préconçues et véhiculées par la société concernant leur genre : les filles sont faites pour faire de la danse et les garçons du football, les garçons sont forts et courageux alors que les filles sont douces et compréhensives. Ces préférences et comportements sont, dans une large mesure, le fruit d’un apprentissage et sont intériorisés par les enfants dès le plus jeune âge. C’est ce qu’on appelle la “socialisation genrée”, c’est-à-dire le processus par lequel les individus vont acquérir et intérioriser des normes, valeurs et représentations différentes selon le genre qui leur est assigné à la naissance (soit le genre associé à leur “sexe biologique”) (Dedovic et al., 2009). Dans cet épisode, nous proposons de présenter des résultats d’études en psychologie pour comprendre comment ces mécanismes ont été étudiés.
Avant la naissance et dans la famille
Avant la naissance d’un enfant, 84% des hommes et 89% des femmes (enquête ELFE, INED, 2016 – Olivia Samuel) veulent connaître le sexe de l’enfant et répondre à la traditionnelle question « c’est une fille ou un garçon ? ». Les parents évoquent la volonté de mieux vouloir se préparer à l’arrivée de cet enfant avec : la décoration, les vêtements, les jouets, le prénom. Cela montre qu’avant la naissance, l’enfant est déjà catégorisé comme fille ou garçon dans les attentes et démarches des parents. L’enfant va ainsi être inscrit dans un rôle genré. Cette importance accordée au sexe du bébé se retrouve notamment avec les « gender reveal party », vous savez, ces fêtes où les parents annoncent le sexe de l’enfant, avec des ballons, des confettis, des gâteaux roses ou bleus.
Certains et certaines chercheurs, chercheuses en psychologie (Gonzales & Koestner, 2005) ont regardé si les parents décrivaient différemment l’arrivée d’une fille ou d’un garçon en termes de fierté et de bonheur. Bien que les parents expriment plus de bonheur que de fierté concernant la naissance de leur enfant, globalement, ils expriment plus de fierté à la naissance d’un garçon qu’à celle d’une fille, et à l’inverse, ils vont exprimer plus de joie à la naissance d’une fille que d’un garçon. Pourquoi ce résultat ? Selon les auteurs et autrices, les parents semblent inconsciemment classer leur futur enfant selon deux catégories distinctes, l’une liée au statut (dans le cas de la fierté pour les garçons) et l’autre à l’attachement (dans le cas de l’expression de bonheur pour les filles).
Après leur naissance et en grandissant, les enfants vont intérioriser les représentations et rôles associés aux genres. Ces représentations sont transmises par différents agents de socialisation tels que les parents, la famille, les pairs, l’école ou encore les médias.
Des études ont notamment mis en évidence que lorsque des parents (hétérosexuels) avaient des comportements stéréotypés (par exemple, la maman faisant davantage les tâches ménagères), ou adhéraient à une répartition des rôles plus traditionnelle (la maman doit être à la maison, à s’occuper des enfants et le papa doit travailler), les enfants connaissaient davantage les stéréotypes de genre et auraient des aspirations professionnelles plus genrées (Fulcher, 2011 ; Friedman et al., 2007 ; Epstein & Ward, 2011 ; Sutfin et al., 2008).
Dans des études sur les comportements et attitudes liés au rôle de genre (travailler, partager le travail domestique tel que le ménage, la garde des enfants etc.) chez les parents, des chercheurs-chercheuses ont questionné l’enfant sur ses représentations genrées comme : ses préférences de carrières professionnelles, les stéréotypes de genre, ou encore la répartition des tâches domestiques. Les résultats ont mis en évidence que plus les mères étaient égalitaires (travaillait, partageait le travail domestique) dans leur comportement ou attitude lorsque l’enfant avait un an, moins les enfants âgés de 6 ans avaient des préférences de carrière professionnelle genrée (si je suis un garçon, je serai un pompier !) (Halpern & Perry-Jenkins, 2015) et plus ils avaient une répartition égalitaire des tâches domestiques à 18 ans (Cunningham, 2001). Ces études montrent le rôle important des comportements et des attitudes des parents dans la transmission des stéréotypes de genre aux enfants.
A l’école
Cet apprentissage des différences en termes de genre s’observe également dans le contexte de l’école. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les femmes sont sous-représentées dans les manuels scolaires (par exemple, on retrouve 6,1% de noms féminins présents dans les manuels, contre 93,9% de noms masculins dans les manuels de français de seconde, Centre Hubertine Auclert, 2013) et, ces personnages féminins sont souvent décrits de manière passives (comme une épouse, une amante, d’un protagoniste masculin central, etc.). Très jeunes, les enfants intègrent donc une différence de statut entre les femmes et les hommes, à travers les manuels scolaires mais aussi plein d’autres supports
Dans une recherche menée en France, au Liban et en Norvège sur la perception du pouvoir (Charafeddine et al., 2020) les chercheuses et chercheurs ont utilisé une image de deux personnages, l’un dans une position de domination (se tenant droit, pointant l’autre du doigt) et l’autre de subordonné (les bras derrière le dos, la tête baissée).
Les enfants devaient indiquer où était la fille et le garçon sur l’image. Les résultats montrent que, dès l’âge de 4 ans, les filles, comme les garçons, désignent davantage le personnage dans une position de domination sur l’autre personnage comme un garçon. Les garçons indiquaient également qu’une marionnette ayant plus de pouvoir et de ressources était un garçon. Ces résultats montrent que les garçons, et les filles dans une certaine mesure, intègrent très tôt que les garçons ont une position dominante et les filles de dominées dans la société.
Une expérience réalisée auprès d’enfants âgés de 4 et 5 ans aux Etats-Unis a mis en évidence, que, lors de situation de jeu conflictuel avec d’autres enfants du même sexe, les filles exprimaient davantage d’émotions positives que les garçons. Ce résultat peut tenir de la socialisation parentale genrée, les parents communiquant et valorisant les émotions de manière différentes en fonction du sexe de l’enfant. Les filles seraient davantage encouragées à se montrer sages et souriantes, quand, à l’inverse, les parents ont déclaré exprimer davantage de colère envers un garçon, en particulier les pères. De plus, le fait que les parents ou l’école présentent des jeux typiquement féminins ou masculins, a des conséquences importantes sur le développement des enfants : les jouets plus classiquement présentés aux garçons développent les compétences spatiales, alors que ceux présentés aux filles entrainent les compétences sociales et verbales. Cette socialisation genrée est donc liée à une différence de développement des compétences émotionnelles, sociales, spatiales chez les enfants.
Les exemples d’études que nous venons de présenter illustrent comment ces dynamiques de genre ont été mises en évidence dans le monde scientifique. Nous ne pouvons que nous rendre compte que les représentations et stéréotypes de genre ont la vie dure et sont profondément ancrées dans nos habitudes, dans nos gestes quotidiens, dans les mots que nous employons et dans bien d’autres comportements subtils. Dès notre naissance et tout au long de notre vie on nous apprend implicitement comment vivre, exister, nous comporter, rêver, voir le monde et interagir sur la base de… nos attributs génitaux, de notre sexe biologique, qui est pourtant défini au hasard dans le processus de reproduction ! N’est-ce pas incroyablement perturbant ?
Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, réalisée par Alice Kasper, doctorante à l’Université de Rennes 2, Pascaline Van Oost, doctorante de l’UCLouvain et, Sarah Leveaux, doctorante de l’Université Lumière Lyon 2. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes !
Références
Charafeddine, R., Zambrana, I. M., Triniol, B., Mercier, H., Clément, F., Kaufmann, L., … & Van der Henst, J. B. (2020). How Preschoolers Associate Power with Gender in Male-Female Interactions: A Cross-Cultural Investigation. Sex Roles, 1-21.
Dedovic, K., Wadiwalla, M., Engert, V., & Pruessner, J. C. (2009). The role of sex and gender socialization in stress reactivity. Developmental Psychology, 45(1), 45–55. https://doi.org/10.1037/a0014433
Garner, P. W., Robertson, S., & Smith, G. (1997). Preschool children’s emotional expressions with peers: The roles of gender and emotion socialization. Sex roles, 36(11), 675-691. https://link.springer.com/content/pdf/10.1023/A:1025601104859.pdf
Gutierrez, B. C., Halim, M. L. D., Martinez, M. A., & Arredondo, M. (2020). The heroes and the helpless: The development of benevolent sexism in children. Sex Roles, 82(9), 558-569. https://www.researchgate.net/profile/M-Anais-Martinez-2/publication/334848023_The_Heroes_and_the_Helpless_The_Development_of_Benevolent_Sexism_in_Children/links/5f1bf316a6fdcc9626b0255d/The-Heroes-and-the-Helpless-The-Development-of-Benevolent-Sexism-in-Children.pdf
Quilliou-Rioual, M. (2014). Le genre et les représentations sociales. Dans : , M. Quilliou-Rioual, Identités de genre et intervention sociale (pp. 37-46). Paris: Dunod.
Mick Cunningham (2001). The Influence of Parental Attitudes and Behaviors on Children’s Attitudes Toward Gender and Household Labor in Early Adulthood, 63(1), 111–122. doi:10.1111/j.1741-3737.2001.00111.x
Epstein M., Ward L.M. (2011). Exploring parent-adolescent communication about gender: Results from adolescent and emerging adult samples. Sex Roles, 65, 108–118
Fulcher, M. (2011). Individual differences in children’s occupational aspirations as a function of parental traditionality. Sex Roles, 64, 117–131. http://dx.doi.org/10.1007/s11199-010-9854-7
Friedman, C. K., Leaper, C., & Bigler, R. S. (2007). Do mothers’ genderrelated attitudes or comments predict young children’s gender beliefs? Parenting: Science and Practice, 7, 357–366. http://dx.doi.org/10.1080/ 15295190701665656
Dawson, A., Pike, A., & Bird, L. (2016). Associations between parental gendered attitudes and behaviours and children’s gender development across middle childhood. European Journal of Developmental Psychology, 13, 452– 471. http://dx.doi.org/10.1080/17405629.2015.1109507
Halpern, H. P., & Perry-Jenkins, M. (2016). Parents’ gender ideology and gendered behavior as predictors of children’s gender-role attitudes: A longitudinal exploration. Sex roles, 74(11-12), 527-542.
Sutfin, E. L., Fulcher, M., Bowles, R. P., & Patterson, C. J. (2008). How lesbian and heterosexual parents convey attitudes about gender to their children: The role of gendered environments. Sex Roles, 58(7-8), 501-513.
D’autres expériences qui illustrent les rôles de genre – pour aller plus loin :
Belle, D., Tartarilla, A.B., Wapman, M. et al. (2021. “I Can’t Operate, that Boy Is my Son!”: Gender Schemas and a Classic Riddle. Sex Roles. https://link.springer.com/article/10.1007/s11199-020-01211-4
Coyne, S. M., Rogers, A., Shawcroft, J., & Hurst, J. L. (2021). Dressing up with Disney and Make-Believe with Marvel: The Impact of Gendered Costumes on Gender Typing, Prosocial Behavior, and Perseverance during Early Childhood. Sex Roles, 1-12. https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s11199-020-01217-y.pdf
Coyne, S. M., Linder, J. R., Booth, M., Keenan‐Kroff, S., Shawcroft, J. E., & Yang, C. (2021). Princess Power: Longitudinal Associations Between Engagement With Princess Culture in Preschool and Gender Stereotypical Behavior, Body Esteem, and Hegemonic Masculinity in Early Adolescence. Child Development. https://srcd.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/cdev.13633?casa_token=OcRn1ieK_sQAAAAA:X7tOe7kr1xJy50DNzAmvIqpTw75IMYpSCjAjXK4XDSCw_FK2jnX5mkRcwJS0yD08cqTBzk-c7fwb1u4K