« Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique ».
Si mille grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?
Cet épisode a été écrit par Roxane Bartoletti, doctorante en psychologie cognitive et expérimentale de l’Université Côte d’Azur, et vous est conté par Sarah Leveaux, doctorante en psychologie sociale de l’Université Lumière Lyon 2.
Vous est-il déjà arrivé d’être agacé·e par la musique mise par cet·te ami·e au point où vous êtes incapable de vous concentrer sur ce que vous faites ? Ou encore de ne pas pouvoir finir une tâche parce que cette odeur constante d’orange ne vous revient pas ? Alors cet épisode est fait pour vous !
“Imaginez, vous arriver dans une bibliothèque universitaire ou dans l’open-space de votre entreprise. Tout le monde s’affaire à réaliser son travail et semble être dans sa bulle, concentré.es. On voit des personnes qui portent des casques audios pour écouter de la musique, d’autres ont un café ou un thé à leur portée, ou encore un diffuseur d’huiles essentielles sur leur bureau”. D’ailleurs ! Vous avez peut-être vous-même l’habitude de lancer vos morceaux préférés de Mozart, de Rammstein ou d’Adèle, puis d’allumer votre bougie parfumée à la fleur d’oranger ou bien à la vanille, ou ce que je vous voulez pour mieux vous concentrer et pour masquer les éventuelles stimulations indésirables !
Grâce aux nouvelles technologies et à l’accès quasi illimité à internet, nous pouvons, en un rien de temps, modifier nos environnements au gré de nos envies et de nos besoins (pour les rendre plus relaxants, confortables ou au contraire stimulants). Il peut nous arriver de lancer une playlist « détente » ou « concentration » lorsque nous devons travailler ou étudier ; lorsque la réalisation d’une tâche nécessite une attention soutenue pour une durée plus ou moins longue. Ce sont ces types de situations auxquelles nous nous intéressons dans cet épisode ! La question étant : Comment la modulation de notre environnement (en termes de musiques et d’odeurs) influence notre capacité à nous concentrer, à rester attentives et attentifs ?
Un monde multisensoriel
Dans ce monde, nous sommes des êtres sensibles et uniques qui percevons notre environnement à travers notre vision, notre audition, notre toucher, notre goût et notre odorat. Notre perception du monde est donc multisensorielle. Ce que nous savons moins est qu’il existe d’autres sens moins connus tels que : la proprioception, c’est-à-dire la capacité à localiser et ressentir notre corps par rapport à lui-même sans la vision ; la thermoception, qui nous permet de ressentir les changements de température ; et la nociception, ce sens qui nous alarme et nous fait ressentir la douleur.
Dire que les environnements dans lesquels nous évoluons chaque jour de notre vie, sont multisensoriels, signifie que les informations extraites de nos environnements sont de multiples et de diverses natures sensorielles. Ces informations sont récoltées, traitées et interprétées par notre cerveau tous les jours et tout instant de notre vie. Oui ! Car bien que nous liions nos sens à un organe récepteur particulier (par exemple les yeux pour la vision, le nez pour l’olfaction ou encore la langue pour le goût), c’est bien dans notre cerveau que tout s’assemble et où ces informations sensorielles sont traitées. Nos perceptions sont l’aboutissement de différents processus, dont un nommé « processus d’intégration multisensorielle ». Grâce à lui, c’est un tableau fluide et cohérent de notre environnement qui est composé et qui nous permet d’adapter nos comportements.
Expériences multisensorielles et performances cognitives
Pour bien comprendre l’influence que peut avoir notre environnement sur nos capacités cognitives, nous proposons de vous présenter quelques expériences ayant mis en évidence ces effets. Une grande expérience multisensorielle en 2014 a regroupé un peu moins de 3000 personnes. Leur mission : boire du vin. Les participantes et participants devaient noter l’agréabilité, l’intensité et le goût du vin qu’ils étaient en train de déguster dans différentes ambiances lumineuses et musicales. La salle de dégustation pouvait être éclairée d’une couleur blanche, verte ou rouge, et deux musiques pouvaient être jouées en fond sonore : une musique douce « legato » dont les notes se suivent laissant une impression de rondeur, ou une musique ciselée « staccato », dont les notes sont séparées par des espaces, rendant la mélodie moyennement consonante et presque piquante. Il a été observé que des associations étaient faites entre le goût du vin et l’ambiance lumineuse, MAIS AUSSI entre le goût du breuvage et la musique jouée. Le vin était perçu comme plus frais et moins intense lorsqu’il était bu dans une ambiance lumineuse verte et musicale « staccato », mais qu’il était plus apprécié dans une ambiance lumineuse rouge et accompagné d’une musique douce « legato ».
Depuis quelques années, des chercheuses et chercheurs en psychologie s’intéressent à l’influence des expériences multi et uni-sensorielles sur nos performances cognitives. D’ailleurs, « uni-sensorielle » renvoie à la stimulation d’un seul sens, quand « multisensorielle » renvoie à la stimulation de plusieurs sens en même temps. Par exemple, concernant la musique, deux chercheurs (Wu & Shi 2019) ont demandé à 107 personnes musiciennes et non-musiciennes de réaliser un test d’attention visuelle d’une durée de 10 minutes. Certaines d’entre elles devaient réaliser le test dans le silence, d’autres avec une musique de fond. Les résultats de l’étude montrent que les performances d’attention visuelle des personnes musiciennes et non-musicienne sont augmentées avec la présence de musique. Ce qui voudrait dire que la présence de musique dans notre environnement influencerait nos performances positivement !
Du côté des odorants, on peut par exemple citer les chercheurs Li et Wang en 2021 qui avaient demandé à 49 adultes de dire le plus vite possible si certains mots étaient plutôt positifs (comme le mot « joyeux »), négatifs (comme le mot « infériorité ») ou neutre (comme le mot « quotidien »). Les 49 personnes étaient réparties en trois groupes, certaines se trouvaient dans une pièce avec une ambiance olfactive agréable (comme avec l’odeur du citron), un autre groupe avec une ambiance olfactive désagréable (comme l’odeur du poisson), et enfin un troisième groupe se trouvait dans une pièce sans odeur. Les résultats de l’étude montrent que la reconnaissance des mots se faisait plus vite avec la présence d’une odeur agréable et désagréable comparativement à l’absence d’odeur, mais qu’une odeur agréable n’aidait pas plus qu’une odeur désagréable pour reconnaître un mot positif, et inversement.
Avec ces trois études, nous pouvons voir que le contenu sensoriel de notre environnement va exercer une influence sur nos performances cognitives (comme l’attention, mémoire, reconnaissance, etc.). Mais, les scientifiques qui travaillent sur l’influence de nos environnements sensoriels sur notre cognition utilisent des méthodes variées. Les protocoles sont rarement reproduits à l’identique, ce qui a comme conséquence la production de résultats différents d’une étude à une autre, avec notamment des résultats qui peuvent être tout à fait contradictoires. Ainsi, avant d’investir dans un éclairage sur mesure et d’emporter partout votre diffuseur d’huiles essentielles si vous recherchez une amélioration de vos performances lorsque vous devez mobiliser votre concentration, il serait peut-être prudent d’attendre que les scientifiques confirment les bénéfices d’une telle pratique !
Néanmoins, en ce début d’année 2020, de nouvelles études au sujet de l’influence des environnements sensoriels sur les performances cognitives fleurissent et prennent en considération un aspect jusqu’alors négligé, car difficile à tester en laboratoire : l’impact de la personnalisation des environnements sensoriels sur les performances cognitives. Par exemple, comment les préférences musicales ou olfactives de chaque individu peuvent influencer leur capacité à réaliser des choses qui nécessitent leur concentration. La personnalisation des environnements sensoriels, c’est donc la création d’un environnement multisensoriel sur la base des choix et des préférences de chaque personne.
Bien sûr, il est important et intéressant de préciser que les expériences multisensorielles du quotidien et celles faites et préparées dans un laboratoire de recherche sont différentes (Velasco & Obrist, 2020). Les expériences réalisées en laboratoire sont des évènements qui sont pensés et préparés pour créer une expérience particulière sur un individu ou un groupe d’individus.
Les études récentes qui explorent l’importance de la personnalisation des environnements sensoriels apportent un éclairage nouveau quant aux caractéristiques partagées par les musiques, les odeurs, les lumières et les autres stimuli sensoriels. Pour le moment, les recherches sont encore en cours, m ais nous observons déjà des influences fascinantes de notre environnement sur nos capacités cognitives. Et vous ? Comment est-ce que vous gérer votre environnement de travail pour être efficace et vous concentrer au mieux ? Est-ce qu’il s’agit d’un type de musique, une artiste ou un groupe spécifique ? Une odeur de thé ou celle du café peut-être ?
N’hésitez pas à nous partager vos expériences sur la question pour connaître la diversité de vos vécus !
Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs réalisée par Roxane Bartoletti avec le soutien de Sarah Leveaux et relue par Magali Beylat, Kenzo Nera et Julia Eberlen. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants !
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