Cet épisode a été écrit par Charlotte Rodriguez Conde, doctorante de l’Université Catholique de Louvain et à la KULeuven et vous est conté par Magali Beylat.
La recherche en psychologie du travail montre que le travail est associé à la satisfaction de nombreux besoins essentiels, qui dépassent les besoins matériels – des besoins en termes de sens, d’occupation, de socialisation et de formation de l’identité, entre autres (e.g., [1]; [2]). Il est ainsi une source d’épanouissement importante pour de nombreuses personnes. Chez certains individus, cependant, on observe que le travail est à l’origine d’un mal-être et qu’il menace leur santé psychologique. Cette situation peut alors dégénérer en “burn-out”.
Burn-out ? Vous avez dit « burn-out » ?
Le burn-out, c’est une métaphore utilisée pour dépeindre la réalité d’un travailleur ou d’une travailleuse qui, parce qu’iel manque de combustible, finit par se consumer de l’intérieur – par perdre à la fois : sa motivation et son efficacité dans son travail [3]. Le terme se popularise dans les années 70, lorsque Herbert Freudenberger et Christina Maslach, notamment, s’intéressent de plus près au mal-être psychologique que certains travailleurs et travailleuses vivent au quotidien. Iels rencontrent des personnes qui travaillent dans des secteurs qui impliquent un engagement relationnel important, comme le secteur des soins de santé et celui des services à la personne, et décrivent le phénomène sous forme d’une théorie scientifique. Le burn-out est encore, à cette époque, un terme un peu fourre-tout qu’on utilise pour décrire une situation de mal-être au travail. Par la suite, les chercheurs et chercheuses commencent à développer des outils (des questionnaires) qui permettent de mesurer le niveau de burn-out des travailleurs et travailleuses. Iels se rendent également compte que le burn-out touche potentiellement n’importe quelle catégorie de professions [4].
Et donc, le burn-out professionnel, c’est quoi exactement d’un point de vue scientifique ?
C’est une excellente question…Parce qu’il faut bien réaliser, qu’après 50 ans de recherche sur le sujet, il existe plus d’une dizaine de définitions différentes du burn-out dans la littérature scientifique. La plupart des chercheurs et chercheuses en psychologie du travail s’accordent sur le fait que le burn-out se caractérise avant tout par un état d’épuisement lié au travail. Beaucoup estiment que le burn-out va également de pair avec une perception négative du travail. Celles et ceux qui souffrent de burn-out auraient une attitude cynique envers leur activité professionnelle et le sentiment de ne plus faire correctement leur job [5]. Mais il serait faux d’affirmer que le consensus est total sur le sujet !
Il y a encore pas mal de débats autour de la nature profonde du burn-out, autour de ce qui se cache derrière cet état d’épuisement et de ce qu’il englobe [6]. La fatigue est-elle uniquement physique ? Ou également émotionnelle et cognitive ? Et surtout, comment l’expliquer ? Selon la vision dominante (e.g., [7]; [8]), le burn-out résulterait avant tout de l’exposition à un stress chronique, et donc, du fait d’avoir un job dans lequel les exigences sont excessives et la charge de travail trop importante. Face à cette difficulté, le travailleur ou la travailleuse n’aurait pas les ressources pour tenir le coup. Il y a, néanmoins, d’autres chercheurs et chercheuses qui ne sont pas tout à fait de cet avis (e.g., [9]; [10]; [11]). Ils estiment, par exemple, que le burn-out serait principalement la conséquence d’un travail qui frustre et déçoit parce qu’il ne contribue pas à donner un sens à l’existence. L’état d’épuisement proviendrait alors davantage du manque de motivation à réaliser un travail qui n’a pas de sens que d’un état de surmenage.
Mais du coup, est-ce que le burn-out est fondamentalement différent d’un état anxieux ou dépressif ?
Surprise… ce débat-là n’est pas complètement tranché non plus (e.g. [12]; [13]). Sans doute parce que même si le burn-out est, par définition, enraciné dans l’expérience au travail et donc focalisé sur la sphère professionnelle, il peut être favorisé par d’autres troubles psychologiques plus généraux et en favoriser d’autres à son tour [14]. Il devient alors parfois difficile de faire la part des choses. D’ailleurs, il faut savoir que le burn-out n’apparaît pas, en tant que tel, dans le DSM-5 (une nomenclature internationale de référence qui répertorie et classifie les troubles mentaux). Si certains pays comme la Suède ont décidé de faire du burn-out un diagnostic médical à part entière, ils font office d’exception : la plupart du temps, les médecins posent d’autres diagnostics officiels tels que celui d’un trouble de l’adaptation ou d’une dépression, en sachant que rien ne les empêche d’identifier plus officieusement l’activité professionnelle comme centrale dans le développement du problème [15].
Et là, vous vous dites peut-être que ça fait beaucoup de questions non-tranchées pour un sujet dont on semble parler avec beaucoup d’assurance dans la vie de tous les jours…
En fait, ce décalage n’est pas nouveau… A l’origine, la communauté scientifique s’est montrée méfiante à l’égard du concept de burn-out qu’elle a vu comme un énième produit de la « psycho-pop » [16], et comme le dernier concept pseudo-scientifique à la mode dans le domaine de la psychologie. Assez vite, les chercheurs et chercheuses ont compris l’importance du phénomène et en ont fait un objet de recherche scientifique très étudié. Mais il semble, malgré tout, qu’un décalage continue d’exister entre leur discours et celui tenu par un business, qui a continué de se développer en parallèle et qui, sans forcément prêter attention à la littérature scientifique, propose des workshops et conseils dont les résultats restent encore parfois à prouver.
Et ce décalage se reflète, entre autres, au niveau des interventions et des moyens de préventions qui sont proposés…
Encore beaucoup trop d’interventions dans les entreprises et organisations se résument à offrir des formations en gestion de temps et tri de boîtes mail, des cours de relaxation ou de mindfulness, des coachings spécialisés, etc. Comme si finalement, la principale raison pour laquelle les gens tombaient en burn-out était leur incapacité à gérer une situation infernale. C’est un message très culpabilisant, envoyé à des personnes dont l’estime de soi est souvent déjà fortement affaiblie. Alors que s’il y a bien une chose sur laquelle beaucoup de psychologues du travail se rejoignent, c’est sur la responsabilité portée par l’organisation dont est issu.e le travailleur ou la travailleuse dans le développement du burn-out. Il faut le dire et le rappeler : bien que certains profils semblent davantage à risque en matière de burn-out (e.g., [17]), la recherche tend à montrer que les premiers facteurs qui favorisent l’apparition du burn-out sont liés au travail et aux conditions dans lesquelles il est exécuté (e.g., [14] ; [18]). Il en ressort que le fait d’être perfectionniste, d’un tempérament pessimiste ou moins résistant au stress ne jouerait qu’un rôle secondaire. Là où, en revanche, la charge de travail, la nature-même du travail, le manque de reconnaissance ou les conflits de valeurs seraient, par exemple, plus déterminants. Et cela appelle évidemment à un tout autre type d’interventions, au niveau de l’organisation…
En résumé, s’il y avait quelque chose à retenir de tout ceci…
Le burn-out est un phénomène complexe qui fait encore l’objet de nombreuses recherches. Le mal-être au travail n’en demeure pas moins une réalité pour beaucoup de travailleurs et travailleuses qui souffrent, sans forcément rentrer dans les cases de ce que chacun d’entre nous entend par « burn-out ». Cette souffrance ne peut être niée et nécessite, sans doute, davantage de remise en question au niveau de la façon dont les employeur.euses organisent le travail, ainsi que dans la nature-même du travail qui est proposé.
Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs réalisée par Charlotte Rodriguez Conde doctorante de l’université Catholique de Louvain et à la KULeuven .
Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants !
Références
[1] Jahoda, M. (1982). Employment and Unemployment: A Social-Psychological Analysis. Cambridge University Press.
[2] Paul, K. I., & Batinic, B. (2010). The need for work: Jahoda’s latent functions of employment in a representative sample of the German population. Journal of Organizational Behavior, 31(1), 45–64. https://doi.org/10.1002/job.622
[3] Schaufeli, W. B., Leiter, M. P., & Maslach, C. (2009). Burnout: 35 years of research and practice. The Career Development International, 14(3), 204–220. https://doi.org/10.1108/13620430910966406
[4] Maslach, C., Schaufeli, W. B., & Leiter, M. P. (2001). Job Burnout. Annual Review of Psychology, 52, 397–422.
[5] Demerouti, E., Bakker, A. B., Peeters, M. C. W., & Breevaart, K. (2021). New directions in burnout research, European Journal of Work and Organizational Psychology, 30(5), 686-691. https://doi.org/10.1080/1359432X.2021.1979962
[6] Schaufeli, W. (2021). The burnout enigma solved? Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, 47(3), 169–170. https://doi.org/10.5271/sjweh.3950
[7] Bakker, A. B., Demerouti, E., & Verbeke, W. (2004), Using the job demands-resources model to predict burnout and performance. Human Resources Management, 43, 83-104. https://doi.org/10.1002/hrm.20004
[8] Demerouti, E., Nachreiner, F., Bakker, A. B., & Schaufeli, W. B. (2001). The job demands resources model of burnout. Journal of Applied Psychology, 86(3), 499–512. https://doi.org/10.1037/0021-9010.86.3.499
[9] Längle, A. (2003). Burnout – Existential Meaning and Possibilities of Prevention. European Psychotherapy, 4(1), 141–158.
[10] Pines, A. M. (2002). Teacher burnout: A psychodynamic existential perspective. Teachers and Teaching: Theory and Practice, 8(2), 121–140. https://doi.org/10.1080/13540600220127331
[11] Riethof, N., & Bob, P. (2019). Burnout syndrome and logotherapy: Logotherapy as useful conceptual framework for explanation and prevention of burnout. Frontiers in Psychiatry, 10, 1–8. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2019.00382
[12] Bianchi, R., Schonfeld, I. S., & Laurent, E. (2015). Burnout-depression overlap: a review. Clinical psychology review, 36, 28–41. https://doi.org/10.1016/j.cpr.2015.01.004
[13] Schonfeld, I. S., Verkuilen, J., & Bianchi, R. (2019). Inquiry into the correlation between burnout and depression. Journal of Occupational Health Psychology, 24(6), 603–616. https://doi.org/10.1037/ocp0000151
[14] Maslach, C., & Leiter, M. P. (2016). Burnout. In G. Fink (Ed.), Stress: Concepts, cognition, emotion, and behavior (pp. 351–357). Elsevier Academic Press.
[15] van Dam, A. (2021). A clinical perspective on burnout: diagnosis, classification, and treatment of clinical burnout. European Journal of Work and Organizational Psychology, (30)5, 732-741. https://doi.org/10.1080/1359432X.2021.1948400
[16] Maslach, C., & Schaufeli, W. B. (1993). Historical and conceptual development of burnout. In W. B. Schaufeli, C. Maslach, & T. Marek (Eds.), Professional burnout: Recent developments in theory and research (pp. 1–16). Taylor & Francis.
[17] Swider, B. W., & Zimmerman, R. D. (2010). Born to burnout: A meta-analytic path model of personality, job burnout, and work outcomes. Journal of Vocational Behavior, 76(3), 487–506. https://doi.org/10.1016/j.jvb.2010.01.003
[18] Maslach, C., & Leiter, M. P. (2008). Early predictors of job burnout and engagement. Journal of Applied Psychology, 93(3), 498–512. https://doi.org/10.1037/0021-9010.93.3.498