Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique. Si 1000 grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ?
Cet épisode a été écrit par Aline Woine, doctorante de l’université catholique de Louvain, avec la relecture et l’aide des membres du podcast Milgram de Savoir et vous est conté par Magali Beylat.
On pourrait penser qu’être parent au 21ème siècle est une tâche moins exigeante qu’elle ne l’était du temps de nos ancêtres en regard de la myriade de soutien social, technique et matériel dont le parent disposerait aujourd’hui. Toutefois, malgré ces avantages non négligeables, le parent moderne est exposé à une certaine pression sociale qui prend sa source dans divers événements qui ont changé les normes sociales autour de la parentalité, et notamment une idéologie grandissante selon laquelle chaque action individuelle des parents influence et détermine le développement et l’éducation des enfants [1]. Les parents seraient responsables de protéger leur enfant de tous dommages qui pourraient nuire à son bon développement. Ainsi, cette idéologie pousse les parents à faire preuve d’attention, disponibilité, chaleur, patience ou encore d’être pondéré·es dans leurs décisions parentales quotidiennes. Des comportements qui correspondent, en partie, à ce que préconisent certaines approches en vogue telles que la parentalité positive.
Et l’effort en vaut bien la chandelle compte tenu des nombreuses conséquences positives qu’ont ces pratiques parentales positives sur le bien-être physique et moral de l’enfant. Pour n’en citer que quelques-unes, la parentalité positive augmenterait l’optimisme chez les enfants [2], contribuerait à une meilleure adaptation scolaire[3] et réduirait les troubles du comportement chez l’enfant [4]. Néanmoins, malgré ses aspects positifs et, ils sont cruciaux, soulignons-le !, il arrive que dans certaines circonstances, ce type d’approche à la parentalité puisse avoir des répercussions négatives sur le parent [5]. Notamment quand celui-ci envisage la parentalité positive comme un absolu plutôt qu’un idéal à atteindre, modestement, “comme on peut”. En pareilles circonstances, le fait de se fixer cet idéal, couplé à l’absence de ressources compensatoires dans l’environnement de ce parent peut le conduire jusqu’à l’effondrement.
En clair, si le parents se met des idéaux de parentalité rigides, et qu’il n’a pas de ressources compensatoires (comme de l’aide de ses proches, des aménagements), cela risque de l’épuiser. De même, les parents au profil perfectionniste [6] qui se mettent beaucoup de pression dans leur rôle parental, ou des parents qui vivent dans des pays occidentaux aux cultures dites plutôt individualistes [7] sont plus enclins à l’épuisement parental, ou au burnout-parental, pour le nommer. Ce terme de burn-out parental ayant été conceptualisé récemment (dans le décours des 10 dernières années), il n’est à ce jour pas répertorié dans les classifications des troubles mentaux. Mais voici comment il est actuellement conceptualisé : Le burn-out parental est un syndrome survenant chez les parents qui ne disposent pas/plus assez de ressources pour contrebalancer les effets délétères d’un stress parental chronique et sévère. Le burn-out parental peut-être représenté par la métaphore d’une balance : d’un côté, les ressources (tout ce qui peut soulager le parent dans sa parentalité), de l’autre, les stresseurs parentaux (tracas liés à son rôle de parent). En situation de burn-out parental, la balance penche de manière chronique du côté des stresseurs parentaux du fait de l’absence de ressources nécessaires et suffisantes pour maintenir l’équilibre [8]. Et selon une récente étude menée à travers 40 pays dans le monde, entre 5 et 9 % des parents occidentaux seraient en proie au burn-out parental [7].
Le burn-out parental comporte 4 symptômes majeurs [9]. Premièrement, un épuisement intense relatif à son rôle de parent. Le parent se sent épuisé et peine à quitter son lit à l’entame d’une nouvelle journée avec ses enfants. Cette fatigue peut s’exprimer sur le plan physique (fatigue), émotionnel (sensation d’être dépassé) et cognitif (difficultés mnésiques et/ou de concentration). Le deuxième symptôme se caractérise par une importante saturation et une perte de plaisir dans l’exercice de son rôle parental. Le parent se sent submergé dans son rôle parental et rapporte un sentiment de « trop plein », et ressent une perte d’entrain au contact de ses enfants. Le troisième symptôme du burn-out parental consiste en une mise à distance affective par rapport à ses enfants. Puisqu’il est épuisé, le parent peine à s’investir dans la relation avec son enfant. Il agit davantage en mode « pilote automatique », comme coupé de ses émotions et réalise le strict minimum des tâches parentales qui lui incombent. Enfin, l’entourage et le parent lui-même observent un contraste marqué entre le parent “minimaliste” que la personne en burn-out parental est devenue et le parent très (trop ?) attentionné et perfectionniste qu’il était autrefois. Ce constat, dont le parent est lui-même conscient, est généralement une source de honte et de culpabilité, ce qui l’empêchera souvent de se tourner vers un professionnel de la santé mentale afin de solliciter l’aide dont il a pourtant besoin.
Pour beaucoup, il y a confusion entre burn-out parental, burn-out professionnel et dépression. Bien que tous trois présentent certaines similitudes, ces troubles sont distincts [10; 11]. Tandis que la dépression est un syndrome diffus qui impacte toutes les sphères de la vie de l’individu, les burn-outs parental et professionnel sont contextualisés : ils impactent spécifiquement la sphère du travail dans le cas du burn-out professionnel et celle de la parentalité dans le cas du burn-out parental. A noter, toutefois, un type de burn-out peut parfois en entraîner un autre, qui à son tour, peut donner lieu à une dépression. Alors qu’il est envisageable, lorsqu’on vit un burn-out professionnel, de changer de travail ou de prendre un congé de longue durée, cela est impossible dans le cas d’un burn-out parental, où aucun congé de maladie ni aucune réorientation « vocationnelle » ne peuvent être envisagés. Pour ces raisons, le burn-out parental est associé à de lourdes conséquences tant sur le parent épuisé (avec des problèmes de santé physique et mentale, des pensées suicidaires, etc. [12] que sur ses enfants (puisqu’il y aura un risque accru de violences physiques et verbales et de comportements maltraitants [13]).
La parentalité est souvent décrite comme une expérience incroyable, qui amène des émotions jamais ressenties auparavant. Mais dans certains cas, le rôle de parent peut mener à un épuisement. Que faire alors ? Pour équilibrer la balance, on peut essayer de limiter les stresseurs parentaux et de mobiliser les ressources. Si on a besoin d’aide, on peut se tourner vers un·e psychothérapeute, qui devrait nous aider à nous sentir écouté dans notre vécu, à nous défaire de la culpabilité et à trouver des moyens concrets d’alléger les stresseurs parentaux.
Ensuite, on ne peut clôturer cet épisode sans souligner que les personnes ne sont pas égales face à la parentalité: de nombreuses études montrent que le milieu social, le genre, la couleur de peau, sont des facteurs qui influencent le vécu et les difficultés qui viennent avec la parentalité [14; 15]. D’ailleurs, les pays apportant plus de soutien institutionnel aux parents (par exemple avec des congés payés), ont moins de différences d’un parent à un autre quant au bonheur associé à la parentalité [16]. Les causes du burnout parental sont donc loin de se résumer à la pression que certains parents peuvent ressentir à être les parents parfaits. La société peut mettre plus ou moins de ressources à disposition des parents, pour les aider à faire face au défi de la parentalité. La solution au burnout parental peut également venir d’en haut.
Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs réalisée par Aline Woine, doctorante de l’université catholique de Louvain. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes passionnants !
Références :
[1] Nomaguchi, K., & Milkie, M. A. (2020). Parenthood and Well-Being: A Decade in Review. Journal of marriage and the family, 82(1), 198–223. https://doi.org/10.1111/jomf.12646
[2] Hasan, N., & Power, T. G. (2002). Optimism and pessimism in children: A study of
parenting correlates. International Journal of Behavioral Development, 26(2), 185-191.
[3] Joussemet, M., Landry, R., & Koestner, R. (2008). A self-determination theory perspective on parenting. Canadian Psychology/Psychologie canadienne, 49(3), 194.
[4] Sandler, I., Ingram, A., Wolchik, S., Tein, J. Y., & Winslow, E. (2015). Long‐term effects of parenting‐focused preventive interventions to promote resilience of children and adolescents. Child Development Perspectives, 9(3), 164-1.
[5] Chetrit M., (2021). Education positive, une question d’équilibre ? Solar : Paris.
[6] Lin, G. X., & Szczygieł, D. (2022). Perfectionistic parents are burnt out by hiding emotions from their children, but this effect is attenuated by emotional intelligence. Personality and Individual Differences, 184, 111187.71.
[7] Roskam, I., Aguiar, J., Akgun, E., Arikan, G., Artavia, M., Avalosse, H., Aunola, K., Bader, M., Bahati, C., Barham, E. J., Besson, E., Beyers, W., Boujut, E., Brianda, M. E., Brytek-Matera, A., Carbonneau, N., Cesar, F., Chen, B. B., Dorard, G., . . . Mikolajczak, M. (2021). Parental Burnout Around the Globe: a 42-Country Study. Affective Science, 1-22. https://doi.org/10.1007/s42761-020-00028-4
[8] Mikolajczak, M., & Roskam, I. (2018). A theoretical and clinical framework for parental burnout: The balance between risks and resources (BR(2)). Frontiers in Psychology, 9, 886. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2018.00886
[9] Mikolajczak, M., Gross, J. J., & Roskam, I. (2019). Parental burnout: What is it, and why does it matter? Clinical Psychological Science, 7(6), 1319-1329. https://doi.org/10.1177/2167702619858430
[10] Mikolajczak, M., Gross, J. J., Stinglhamber, F., Lindahl Norberg, A., & Roskam, I. (2020). Is parental burnout distinct from job burnout and depressive symptoms? Clinical Psychological Science, 8(4), 673-689. https://doi.org/10.1177/2167702620917447
[11] Sánchez-Rodríguez, R., Orsini, É., Laflaquière, E., Callahan, S., & Séjourné, N. (2019). Depression, anxiety, and guilt in mothers with burnout of preschool and school-aged children: Insight from a cluster analysis. Journal of affective disorders, 259, 244-250.
[12] Brianda, M. E., Roskam, I., & Mikolajczak, M. (2020). Hair cortisol concentration as a biomarker of parental burnout. Psychoneuroendocrinology, 117, 104681. https://doi.org/10.1016/j.psyneuen.2020.104681
[13] Hansotte, L., Nguyen, N., Roskam, I., Stinglhamber, F., & Mikolajczak, M. (2021). Are all burned out parents neglectful and violent? A latent profile analysis. Journal of Child and Family Studies, 30(1), 158-168.
[14] McLoyd, V. C., Cauce, A. M., Takeuchi, D., & Wilson, L. (2004). Marital processes and parental socialization in families of color: A decade review of research. Journal of Marriage and Family, 62(4), 1070-1093. https://doi.org/10.1111/j.1741-3737.2000.01070.x
[15]Nomaguchi, K., & Milkie, M. A. (2020). Parenthood and well‐being: A decade in review. Journal of Marriage and Family, 82(1), 198-223.
[16] Glass, J., Simon, R. W., & Andersson, M. A. (2016). Parenthood and happiness: Effects of work-family reconciliation policies in 22 OECD countries. American Journal of Sociology, 122(3), 886-929.