Communiquer, est-ce forcément parler? Le langage dans l’autisme

Deux enfants assis par terre, un enfant porte un casque audio et utilise un stylo sur une tablette, l'autre enfant lui regarde. Source: Freepik
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Bienvenue dans Milgram de savoirs, le podcast qui démystifie la psychologie scientifique. Si 1000 grammes ne rentrent pas dans le programme, pourquoi pas une dose de 100 le temps d’un instant ? Cet épisode a été écrit par Marine Petit, doctorante en psychologie cognitive à l’Université libre de Bruxelles et vous est conté par Lauréline Fourdin.

Samir a 7 ans. Il parle très bien, utilise un vocabulaire riche et des phrases complètes, surtout quand il parle de son sujet favori : les animaux marins ! Mais souvent, il a du mal à adapter son discours à ses interlocuteur.ices et parle d’un ton monotone ce qui peut surprendre ses camarades. Il cherche à interagir avec elleux, mais ses échanges sont souvent à sens unique : il évite leur regard, les interrompt, et ne répond pas toujours aux salutations. L’autre jour par exemple, la maîtresse a demandé aux élèves de sa classe de raconter ce qu’iels avaient fait durant le weekend.  Samir a longuement parlé de sa visite au musée, en détaillant des faits complexes sur les cétacés, sans regarder ses camarades ni remarquer que certain·es ne l’écoutait plus. Il n’a pas répondu à une question simple posée par un autre élève et a poursuivi son discours sans pause. Samir est donc tout à fait capable de parler mais manque d’adaptation dans ses interactions sociales.

Lina, elle, ne parle pas encore malgré ses 5 ans. Elle communique avec des gestes simples et des images. Elle arrive très bien à montrer ses besoins  en prenant la main de ses parents ou en pointant du doigt ce qu’elle veut, et réagit bien aux consignes simples quand on lui demande de se brosser les dents ou d’aller au lit. A l’école, elle joue souvent seule et observe beaucoup ses camarades mais se joint rarement à elle.ux. Dans ces moments-là, si un adulte lui propose une activité, elle prend sa main et la guide vers un jouet sans émettre de son, puis retourne à ses jeux sans répondre aux sollicitations de ses camarades. Lina arrive donc à communiquer mais essentiellement de manière non-verbale et ses interactions sont rarement initiées par elle.

Ezio a 6 ans, il comprend bien quand on lui parle mais à des difficultés pour s’exprimer. Il n’utilise que quelques mots comme “encore” ou “fini”lors des ses repas ou quand il joue avec ses parents. Parfois il lui arrive aussi d’utiliser des gestes pour se faire comprendre. Il aime beaucoup les routines qui le rassure et peut se montrer très affectueux et expressif lorsqu’il est en confiance. Bien que la parole lui soit encore difficile, il cherche activement à communiquer à sa manière.Comme cette fois  à la fin d’un atelier de peinture, Ezio a simplement tendu son pinceau à un adulte, l’a regardé, et a dit « fini » en souriant. Puis il a doucement tiré l’adulte vers l’étagère des puzzles, en répétant « encore », tout en sautillant d’excitation. Il sait très bien se faire comprendre grâce à  sa gestuelle et son regard expressif.

Samir, Lina et Ezio, sont trois enfants autistes, avec des profils très différents en matière de langage. Samir parle avec aisance, même si ses échanges sont parfois unilatéraux. Lina ne parle pas encore, mais elle communique avec des gestes, des regards et des émotions. Ezio, lui, utilise quelques mots associés à des gestes pour se faire comprendre. Les retards de langage concernent jusqu’à 50 % des enfants autistes, et entre 20 et 30 % n’acquièrent jamais un langagefonctionnel (1,2). Mais pourquoi observe-t-on de telles différences d’un enfant à l’autre ? Pourquoi certains enfants autistes développent-ils un langage verbal, tandis que d’autres n’y parviennent pas, ou très tardivement ?

Un premier élément de réponse est que le langage n’est pas une compétence isolée. C’est le fruit d’un ensemble complexe de facteurs neurologiques, sensoriels, cognitifs, émotionnels et sociaux.

Les études utilisant des machines permettant de visualiser l’activité cérébrale  montrent que le cerveau des enfants autistes est souvent organisé différemment par rapport au cerveau des enfants non-autistes. Ça veut dire qu’en faisant la même tâche, différentes zones du cerveau seront recrutées chez un enfant autiste et chez un enfant non-autiste. Ceci est surtout le cas pour les régions liées au langage et à la communication sociale (3, 4). Ces variations peuvent avoir un impact direct sur la capacité à percevoir, traiter ou produire la parole.

Le développement du langage dépend aussi fortement de certaines compétences sociales précoces, comme l’imitation ou l’attention conjointe, notre tendance à tourner notre attention vers ce que l’autre regarde, ou à suivre du regard un pointage. Or, ces comportements sont souvent moins présents chez les enfants autistes (5, 6). Sans eux, les opportunités naturelles d’apprentissage du langage sont moins nombreuses.

Le traitement sensoriel joue également un rôle. De nombreux enfants autistes présentent une sensibilité sensorielle atypique, qui influence leur rapport au langage. Certains enfants sont très sensibles aux bruits, une simple parole prononcée à voix normale peut être perçue comme envahissante, à l’inverse, d’autres enfants présentent une hyposensibilité auditive, c’est-à-dire qu’ils auront besoin de stimulations sonores plus intenses pour réagir, ce qui peut donner l’impression qu’ils ignorent ou n’entendent pas la voix humaine (7).

Enfin, il ne faut pas oublier que l’autisme est un spectre. Chaque enfant a son propre profil, ses forces et ses fragilités. Certains ont de grandes compétences visuelles, d’autres une mémoire auditive impressionnante, et certains trouvent dans la musique, le rythme ou le mouvement, une manière d’entrer en relation. Le langage verbal n’est qu’une des nombreuses formes de communication possibles.

Alors comment aider un enfant autiste minimalement verbal à communiquer ?

Il ne s’agit pas nécessairement de l’amener à parler, mais de lui offrir des moyens efficaces, respectueux et adaptés pour s’exprimer et créer du lien. Car un enfant qui ne parle pas peut parfaitement avoir envie de communiquer, de partager ce qu’il ressent, ce qu’il veut ou ce qu’il aime. Il suffit de lui donner les bons outils.

L’un des premiers leviers peut-être la « Communication Alternative et Augmentée ». Elle regroupe toutes les formes de communication qui ne passent pas par la parole, c’est-à-dire les images, les gestes, les objets, ou encore les applications numériques. Par exemple, le “Picture Exchange Communication System” , également appelé le système PECS, permet à l’enfant d’utiliser des pictogrammes pour faire des demandes. Ce système aide l’enfant à composer des phrases à partir d’images. D’autres méthodes utilisent des gestes simplifiés, ou des signes issus de la langue des signes. Les supports visuels sont également très utiles. Illustrer les étapes d’une routine, proposer des choix visuels, ou utiliser des bandes dessinées sociales, permettent à l’enfant de mieux anticiper, de comprendre les consignes, et de s’exprimer. Ces supports réduisent l’anxiété et favorisent l’autonomie.

Ces outils offrent une structure, un canal d’expression et, contrairement aux idées reçues, ne freinent pas l’apparition du langage oral. Au contraire, les études montrent qu’un soutien précoce à la communication, même non-verbale, favorise souvent l’émergence du langage chez certains enfants (8, 9, 10, 11).

Un autre point fondamental est la communication fonctionnelle, représentant la capacité à transmettre un message pour exprimer un besoin immédiat ou réaliser une action précise à l’aide de mots, de gestes ou autres signaux. Ici, l’idée n’est pas simplement d’enrichir la communication grâce au vocabulaire, mais de permettre à l’enfant de communiquer pour une vraie raison : demander, refuser, commenter, ou interagir. Cela passe souvent par les routines du quotidien, en s’appuyant sur ce qui motive l’enfant. Des approches comme l’ABA (Analyse Appliquée du Comportement) proposent des contextes d’apprentissage naturels, ludiques et efficaces. L’ABA repose sur des principes comportementaux. Elle vise à renforcer les comportements adaptés, comme les tentatives de communication, en les récompensant positivement.

L’environnement joue aussi un rôle déterminant. Trop de bruit, un rythme trop rapide, ou des consignes trop complexes peuvent freiner l’expression. Il est donc important d’aménager un cadre favorable : parler calmement, simplifier le langage, laisser du temps pour répondre, et surtout, reconnaître toutes les formes de communication, même les plus discrètes.

Enfin, l’accompagnement doit être cohérent. Tous les adultes autour de l’enfant, parents, enseignant.es, professionnel.les de santé, doivent utiliser les mêmes outils, les mêmes repères. La communication ne se construit pas uniquement en séance logopédique : elle se développe dans la vie quotidienne, par la répétition, la constance, et bien sûr la bienveillance.

N’oublions jamais que l’absence de mots ne signifie pas l’absence de pensée. De nombreux enfants que l’on croyait “fermés” se sont révélés dès qu’on leur a offert les bons moyens d’expression.

Dans cette optique, le laboratoire ACTE (Autisme en Contexte – Théorie et Expérience) de l’Université libre de Bruxelles mène plusieurs recherches pour mieux comprendre les différences de compétences langagières chez les enfants autistes. En particulier, le projet BeLAS (pour Belgian “Language in autism” study), suit des enfants de 2 à 5 ans, pendant une durée de 2 ans. L’objectif du projet est de tracer les différentes trajectoires développementales du langage et d’examiner l’influence de facteurs comme les interactions sociales, le sommeil ou l’activité cérébrale. On attend les résultats avec impatience !

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs réalisée par Marine Petit,  doctorante en psychologie cognitive à l’Université libre de Bruxelles, relu par l’équipe et contée par Lauréline Fourdin.

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Références :

  1. Tager-Flusberg, H., & Kasari, C. (2013). Minimally verbal school-aged children with autism spectrum disorder: The neglected end of the spectrum. Autism Research, 6(6), 468–478.
  2. Wodka, E. L., Mathy, P., & Kalb, L. (2013). Predictors of phrase and fluent speech in children with autism and severe language delay. Pediatrics, 131(4), e1128–e1134. https://doi.org/10.1542/peds.2012-2221
  3. Redcay, E., & Courchesne, E. (2008). Deviant functional magnetic resonance imaging patterns of brain activity to speech in 2–3-year-old children with autism spectrum disorder. Biological Psychiatry, 64(7), 589–598.
  4. Kana, R. K., Keller, T. A., Cherkassky, V. L., Minshew, N. J., & Just, M. A. (2006). Sentence comprehension in autism: Thinking in pictures with decreased functional connectivity. Brain, 129(9), 2484–2493.
  5. Mundy, P., Sullivan, L., & Mastergeorge, A. M. (2007). A parallel and distributed-processing model of joint attention, social cognition and autism. Autism Research, 1(1), 2–21.
  6. Charman, T., Baron-Cohen, S., Swettenham, J., Baird, G., Drew, A., & Cox, A. (2000). Testing joint attention, imitation, and play as predictors of language development in children with autism. Journal of Autism and Developmental Disorders, 30(6), 561–573.
  7. Baranek, G. T., David, F. J., Poe, M. D., Stone, W. L., & Watson, L. R. (2006). Sensory Experiences Questionnaire: Discriminating sensory features in young children with autism, developmental delays, and typical development. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 47(6), 591–601.
  8.  Boesch, M. C., Wendt, O., Subramanian, A., & Hsu, N. (2010). Using the Picture Exchange Communication System (PECS) with children with autism: A review of the literature. Topics in Language Disorders, 30(1), 73–88. https://doi.org/10.1097/TLD.0b013e3181d0f9db
  9. Ganz, J. B., Earles-Vollrath, T. L., Heath, A. K., Parker, R. I., Rispoli, M. J., & Duran, J. B. (2012). A meta-analysis of single-case research studies on aided augmentative and alternative communication systems with individuals with autism spectrum disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders, 42(1), 60–74. https://doi.org/10.1007/s10803-011-1212-2
  10. Millar, D. C., Light, J. C., & Schlosser, R. W. (2006). The impact of augmentative and alternative communication intervention on the speech production of individuals with developmental disabilities: A research review. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 49(2), 248–264. https://doi.org/10.1044/1092-4388(2006/021)
  11. Schlosser, R. W., & Wendt, O. (2008). Effects of augmentative and alternative communication intervention on speech production in children with autism: A systematic review. American Journal of Speech-Language Pathology, 17(3), 212–230. https://doi.org/10.1044/1058-0360(2008/021)