Vous prendrez votre revanche sur la vie: Entretien avec Assumpta Mugiraneza à propos du génocide des Tutsis au Rwanda

Ces deux épisodes ont été enregistrés en avril 2024 à Kigali à l’occasion de la visite d’un membre de notre équipe, Olivier Klein, au Rwanda, à la veille des commémorations du 30ème anniversaire du Génocide des Tutsis. Olivier Klein s’est entretenu avec Assumpta Mugiraneza, qui outre être psychologue sociale et politologue, dirige le centre Iriba, qui cultive la mémoire du génocide, à travers le recueil de témoignages et de documentation sur ce sujet.

Assumpta Mugiraneza (à gauche) et Olivier Klein (à droite)

Le premier épisode s’intéresse principalement au regard que porte Assumpta sur le génocide.

Le second épisode, un épisode bonus, se penche plus particulièrement sur les juridictions qui ont été mise en place pour juger les responsables du génocide. Ces tribunaux improvisés sur tout le territoire rwandais sur base de pratiques traditionnelles et précoloniales, ont permis de juger près de 2 millions de personnes. Dans l’épisode bonus, on parle aussi de la politique de mémoire.

Assumpta Mugiraneza (à gauche) et Olivier Klein (à droite) lors de l’enregistrement

Épisode 1: ‘Vous prendrez votre revanche sur la vie’: Entretien avec Assumpta Mugiraneza à propos du génocide des Tutsis au Rwanda

Dans cet épisode, nous découvrons le regard que porte Assumpta Mugiraneza sur le génocide. Psychologue sociale et politologue, elle dirige le centre Iriba, qui cultive la mémoire du génocide, à travers le recueil de témoignages et de documentation sur ce sujet.

Légende

  • Pour un aperçu du génocide rwandais, voici extrait de la page Wikipedia qui lui est consacrée: 

“Le génocide des Tutsis au Rwanda se déroule du 7 avril au 17 juillet 1994. Ce génocide s’inscrit historiquement dans un projet génocidaire latent depuis plusieurs décennies, à travers plusieurs phases de massacres de masse, et stratégiquement dans le refus du noyau dur de l’État rwandais de réintégrer les exilés tutsis, objet de la guerre civile rwandaise de 1990-1993. Cette guerre, commencée en 1990, opposait le gouvernement rwandais constitué de Hutus soutenu par la France par l’opération Noroît, au Front patriotique rwandais (FPR), accusé par les autorités de vouloir imposer, par la prise du pouvoir, le retour des Tutsis exilés dans leur pays. Les accords d’Arusha, signés en août 1993, qui prévoyaient cette réintégration afin de mettre fin à la guerre, n’étaient encore que partiellement mis en œuvre à cause de la résistance du noyau dur du régime Habyarimana. L’assassinat du président rwandais le 6 avril 1994 déclenche le génocide des Tutsis par les extrémistes Hutus. La commission indépendante d’enquête mandatée par l’ONU lors du génocide de 1994 au Rwanda estime qu’environ 800 000 Rwandais, en majorité tutsi, ont perdu la vie durant ces trois mois. Ceux qui parmi les Hutus se sont montrés solidaires des Tutsis ont été tués comme traîtres à la cause hutu. D’une durée de cent jours, ce fut le génocide le plus rapide de l’histoire et celui de plus grande ampleur quant au nombre de morts par jour. Il convient de souligner qu’un génocide n’est pas qualifié comme tel en raison du nombre de morts, mais sur une analyse juridique de critères définis à l’époque par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 de l’ONU. Cette convention définit qu’un génocide est « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». De ce fait, l’expression « génocide rwandais » ou en anglais « Rwandan genocide », souvent employée dans les médias et les discours, est considérée comme trop généraliste et polémique car elle masque le groupe ciblé, les Tutsis.

La discrimination rwandaise entre Hutus et Tutsis, qualifiée d’ethniste par des spécialistes, qui a atteint un point culminant en 1994, s’est construite dans un processus historique complexe entre la réalité de la population du Rwanda et la façon dont les colonisateurs d’une part et les divers Rwandais d’autre part, l’ont perçue et expliquée. Dans cette histoire du Rwanda se sont surajoutés de façon déterminante les avantages politiques successifs que ces divers acteurs ont cru pouvoir tirer de cette discrimination, de 1894 (date des premiers contacts entre des Européens et le roi issu des Tutsis du Rwanda) à 1962 (date de l’indépendance du Rwanda), puis jusqu’en 1994 (période dominée par des républiques dites hutu).”

  • Date de la fin du génocide: dans l’entretien, Assumpta Mugiraneza utilise la date du 4 juillet 1994 (prise de Kigali par le FPR, le Front patriotique rwandais ) comme date de fin du génocide. Une autre date retenue (et qu’Olivier Klein évoque en début d’entretien) est celle du 17 juillet, date à laquelle le FPR contrôle l’ensemble du pays. 
  • Le Front Patriotique Rwandais (FPR) est un parti politique créé par des exilés Tutsi au Rwanda. C’est ce parti, dirigé par l’actuel président Paul Kagame, qui va s’opposer au gouvernement rwandais pendant la guerre de 1990-1993. C’est lui, à travers son bras armé, l’armée patriotique rwandaise, qui mettra fin au génocide. Il est depuis au pouvoir au Rwanda, sous la houlette du président Paul Kagame. 
  • Rodolphe Ghiglione (1941-1999): Professeur de psychologie sociale à l’Université Paris VIII, où il dirigeait le groupe de recherche sur la parole. “Mentor” d’Assumpta Mugiraneza. Un hommage et une présentation par son collègue Jean-François Richard. 
  • Le logiciel TROPES: Il s’agit d’un logiciel d’analyse de textes automatisés développé par le groupe de recherche sur la parole que dirigeait Rodolphe Ghiglione à Paris VIII, et qu’Assumpta Mugiraneza a utilisé durant son travail de thèse. Le logiciel, qui fonctionne sous windows, est accessible gratuitement
  • Georges Bensoussan: Historien français, spécialiste de l’histoire culturelle de l’Europe au XIXème et au XXème siècle, et en particulier des mondes juifs. Il s’est notamment intéressé à l’antisémitisme et à la Shoah. Il est fort associé au Mémorial de la Shoah (auquel Assumpta Mugiraneza collabore), dont il dirige la revue. 
  • Politique d’interdiction de l’ethnicité: Après le génocide, le gouvernement rwandais a promis une politique de négation de l’éthnicité dans un souci de réconciliation nationale. Il devenait interdit de parler de “Hutus”, “Tutsis” ou “Twas”. Seule l’identité rwandaise devait être mise en valeur. Cette politique est toujours en vigueur, même si elle s’est quelque peu assouplie. 
  • La commission nationale de lutte contre le génocide: créée en 2008, elle entre en action en 2009. Selon Assumpta Mugiraneza, une de ses priorités est d’empêcher que quiconque puisse travailler sur la question du génocide. Cette commission va édicter plusieurs règles pour ce faire. Un des projets d’Assumpta, “dire, penser, écrire le génocide” s’est ainsi trouvé bloqué. Petit à petit, la commission a lâché son étreinte et elle a été dissoute. 
Fleurs au mémorial du génocide

Références

Voici quelques textes d’Assumpta Mugiraneza évoqués dans l’entretien :

Épisode Bonus: Comment vivre ensemble après un génocide de proximité? Gacaca et transmission de la mémoire au Rwanda

Dans cet épisode, Olivier Klein poursuit l’entretien avec Assumpta Mugiraneza (voir premier épisode ci-dessus) avec un intérêt particulier pour deux questions:

Après 1994, comment juger les génocidaires et parvenir à une réconciliation ou à tout le moins un vivre ensemble ? On s’intéressera en particulier aux “Gacaca”, ces juridictions inspirée des pratiques judiciaires pré-coloniales, qui, dans chaque communauté, permettront de juger un grand nombre de personnes en un temps record. 

Nous y évoquons également la politique de commémoration du génocide.

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  • Contexte historique évoqués par Assumpta: Les premiers massacres de Tutsis se déroulent en 1959, peu avant l’indépendance (1962), à une époque où le pouvoir est largement entre les mains de la majorité hutue dirigée par Grégoire Kayibanda. Un discours raciste anti-Tutsis est alors promu par le pouvoir. C’est à cette époque que le jeune Paul Kagamé, actuel président du Rwanda, s’exile avec sa famille en Ouganda. 
  • Hutu Power: Le hutu power est un mouvement d’extrémistes hutus partisans du nationalisme. Dirigé par des proches du président Juvénal Habyarimana, il sera à l’origine du génocide. 
  • Anne Aghion: Documentariste franco-américaine, auteure de plusieurs documentaires sur le Rwanda, auxquels Assumpta a participé. Voir notamment le film “Mon voisin, mon tueur”, “Gacacas vivre ensemble au rwanda” et “Au Rwanda, on dit….La famille qui ne parle pas meurt”.  Ces films sur les gacaca sont disponibles en streaming avec sous-titres français. Voir le site officiel d’Anne Aghion et, en Belgique, les films sont accessibles chez Point Culture.
  • Inyangamugayo: Terme (littéralement “les intègres”) qui se réfère aux juges des Gacaca. “
  • Camp Kigali: Ancien, complexe militaire situé à Kigali. C’est là que 10 casques bleus belges ont été assassinés au début du Génocide. Il st aujourd’hui le site d’un mémorial pour ces soldats et de nombreuses autres activités. 
  • Radio télévision libre des milles collines: Chaîne radiophonique qui a diffusé la propagande génocidaire du Hutu Power avant et pendant le génocide et a également aidé à l’organisation pratique du génocide en communiquant aux tueurs où se trouvaient les victimes. Page wikipedia ici
  • Valérie Bemeriki: Une des principales animatrices de la radio télévision libre des milles collines. Elle a été condamnée à la prison à perpétuité. Page wikipedia ici
  • Kangura: Revue rwandaise extrémiste, qui a diffusé l’idéologie du Hutu Power entre 1989 et 1994.
  • Hélène Dumas: Historienne française spécialiste de l’étude du génocide des Tutsis. Voir sa page wikipédia.
  • Ibuka: Organisation visant à préserver la mémoire du génocide et à soutenir les rescapés. Elle est présente dans plusieurs pays.  Son site belge ici
  • Iriba: Centre de de documentation multimédia sur le génocide, dirigé par Assumpta. Voir description ici.  
  • La commission nationale pour l’unité et la réconciliation: Mise en place en 2002, elle est devenue une institution permanente. 
Kwibuka (‘se souvenir’) : mémorial du génocide à Kigali

Références

Article (critique) de Susan Thomson sur la politique de réconciliation au Rwanda. 

Voir les travaux de Patrick Kanangyiara et Bernard Rimé (notamment) sur les effets psychosociaux de la participation au Gacaca :